Il s’agit de l’un des documents les plus célèbres de l’histoire de la cryptographie. Le manuscrit de Voynich, daté au carbone 14 du début du XVe siècle, est un livre mystérieux écrit par un auteur inconnu, dans une langue et un alphabet inconnus.
Malgré les nombreuses tentatives de déchiffrement menées par des cryptographes et des linguistes, l’ouvrage, acheté par le collectionneur de livres anciens Wilfrid M. Voynich en 1912, est resté largement incompris depuis sa redécouverte. Certaines théories suggèrent qu’il pourrait s’agir d’un texte codé, d’une œuvre d’art (avec de curieuses illustrations de plantes, de femmes nues, d’objets et de symboles énigmatiques) de l’époque médiévale, ou même d’un canular élaboré.
Analyse par imagerie multispectrale
Il y a une dizaine d’années, plusieurs feuilles (folios) du manuscrit de Voynich ont été numérisées à l’aide de l’imagerie multispectrale – une technique qui capture des images à travers plusieurs types de lumière pour obtenir des informations détaillées sur un objet.
Lisa Fagin Davis, directrice exécutive de la Medieval Academy of America, a récemment analysé les scans. Ses résultats, publiés sur son blog le 8 septembre 2024 et repérés par Ars Technica, semblent confirmer l’authenticité du document médiéval, longtemps soupçonné d’être un faux.
Le spécialiste a également identifié trois colonnes de texte invisibles à l’œil nu. Il s’agit peut-être d’une première tentative de déchiffrement d’écrits anonymes.
Entre décryptages contestés et révélations inédites
Les hypothèses sur le manuscrit de Voynich, aujourd’hui conservé à la Beinecke Rare Book and Manuscript Library de l’université Yale (New Haven, Connecticut, USA), sont nombreuses. A tel point que son étude constitue presque un sous-domaine de la recherche médiévale, note Ars Technica. Sur la base des quelques éléments déchiffrés jusqu’à présent, il est probable qu’il s’agisse d’une sorte de recueil d’herboristerie, d’alchimie et d’ésotérisme. Cependant, tous les cryptographes, professionnels et amateurs, qui ont étudié ses textes ne s’accordent pas sur ce fait.
Certains d’entre eux ont même prétendu – à tort ou à raison – les avoir déchiffrés. Ainsi, dans le Times Literary Supplement, le chercheur Nicholas Gibbs a affirmé, après avoir comparé ses écrits avec d’autres de l’époque médiévale, que le Voynich était un traité médical destiné aux soins des femmes. Ses étranges écritures n’auraient donc été qu’une suite d’abréviations latines, décrivant des recettes médicinales. Pour Gerard Cheshire, chercheur associé honoraire à l’université de Bristol (Angleterre), elles proviendraient plutôt d’une langue « calligraphique proto-romane ».
Lisa Fagin Davis s’est montrée sceptique quant à ces propositions, les qualifiant d’invraisemblables. Elle a également récemment eu accès à des données inédites. En 2014, la Beinecke Rare Book and Manuscript Library a permis au Lazarus Project Imaging de capturer des images multispectrales de 10 des 234 pages du Voynich, réparties sur 20 cahiers de vélin.
Bien que ces documents aient été destinés à être rendus publics en ligne, ils n’ont finalement jamais été publiés. En contactant l’un des membres de l’équipe, Lisa Fagin Davis a pu les examiner, presque en exclusivité.
Inscriptions effacées (et retrouvées) dans les marges
L’imagerie multispectrale est particulièrement utile dans l’analyse de documents délicats comme les manuscrits médiévaux. Elle révèle des textes effacés ou recouverts, autrefois écrits avec de l’encre riche en fer… et tenaces dans le temps.
L’expert a ainsi pu confirmer une observation faite par Wilfrid Voynich lors de l’acquisition du manuscrit : la première page contenait une inscription effacée en marge, qu’il a fait réapparaître avec un réactif chimique en 1914. « Jacobi à Tepenecz »Il pourrait s’agir de la signature du médecin et pharmacien Jacobus Sinapius, qui aurait été l’un des premiers propriétaires de l’ouvrage à Prague à la fin du XVIe ou au début du XVIIe siècle.
Dans la marge droite de cette première page, encore une fois, la technologie a aussi clairement révélé les lettres « a, b, c, d et e ». En réalité et selon les analyses de Lisa Fagin Davis, les annotations sont organisées en trois colonnes : une en alphabet romain, une autre avec les caractères inconnus, puis encore une troisième en alphabet romain, décalée cette fois d’une lettre. Selon la docteure en études médiévales, ces traces pourraient être celles d’une tentative précoce de déchiffrement du manuscrit.
Pour découvrir l’auteur, elle a comparé le style des colonnes à plusieurs lettres écrites en « écriture humaniste », couramment utilisées par deux écrivains italiens de la Renaissance, Pétrarque et Boccace, et auxquelles elles ressemblaient étroitement.
Un échantillon correspondait étroitement à cette lettre : une lettre du 12 septembre 1640, écrite par le scientifique Jan Marek Marci. Il faut dire qu’en 1665 à Prague, il hérita de son ami l’alchimiste Georg Baresch le célèbre manuscrit de Voynich. Jan Marek Marci, avec son écriture remarquable se rapprochant de celle des notes de l’ouvrage, est donc un grand favori dans la quête de l’identité de l’individu qui a tenté de le déchiffrer. Lisa Fagin Davis écrit sur son blog :
J’ai hâte d’entendre l’avis d’autres chercheurs sur ces nouvelles preuves, en particulier des experts en cryptographie qui pourraient avoir des idées sur les raisons pour lesquelles Marci ou tout autre décrypteur de codes des débuts de l’ère moderne aurait eu besoin de trois colonnes d’alphabets pour faire son travail.
Si l’imagerie multispectrale peut apporter de nouveaux indices sur le fascinant livre médiéval, à l’image de la découverte de ces alphabets perdus depuis plusieurs siècles, il est peu probable qu’ils contribuent un jour à déchiffrer son contenu.
« Les linguistes (…) et d’autres chercheurs ont établi qu’il est presque certain que le manuscrit n’est pas crypté à l’aide d’un simple code de substitution, et les substitutions dans ces colonnes aboutissent de toute façon à un non-sens.ajoute Lisa Fagin Davis. Cela dit, ils ajoutent un chapitre intéressant et nouveau à l’histoire ancienne du manuscrit.
GrP1