Les relations entre Michel Barnier et le camp macroniste se tendent sur fond de composition du futur gouvernement
L’ancien Premier ministre Gabriel Attal, désormais chef de file des députés macronistes, a conditionné la participation de son camp au futur gouvernement à un certain nombre de clarifications. Il doit prochainement rencontrer Michel Barnier, après une première rencontre avortée.
La réunion, prévue à 10h30, n’a finalement pas eu lieu mercredi 18 septembre. « Reporté »précise l’entourage de Michel Barnier. « À l’initiative de Matignon »tient à mettre en avant l’entourage de Gabriel Attal. L’ancien Premier ministre, accompagné de plusieurs cadres du groupe des députés macronistes, devait rencontrer son successeur à Matignon dans l’espoir d’obtenir quelques éclaircissements. « C’est un psychodrame depuis ce matin. Matignon a décidé de reporter la réunion, n’ayant toujours pas validé le principe d’une délégation »soupire un député d’Ensemble pour la République. « Nous n’avons pas encore de visibilité claire sur la ligne politique – notamment sur d’éventuelles hausses d’impôts – et sur les grands équilibres gouvernementaux »expliqué Gabriel Attal dans un message à ses troupes, révélé mardi soir.
Et l’ancien locataire de Matignon d’ajouter : « Je vous informe que nous avons demandé au Premier ministre, avant la formation du gouvernement, une rencontre avec une petite délégation de notre groupe afin de voir les choses plus clairement. C’est à la lumière de ces discussions que nous reviendrons vers vous pour décider de notre participation au gouvernement. » Le camp présidentiel a choisi de mettre une pression maximale sur Michel Barnier, alors que l’ancien négociateur du Brexit tente encore de constituer son équipe gouvernementale.
« Ceux qui pensent qu’on ne peut pas censurer un Premier ministre qui a été nommé par le président de la République, parce qu’on appartient au camp du chef de l’État, on peut leur répondre que le mandat qui a été donné par Emmanuel Macron à Michel Barnier est d’unirprévient le député Marc Ferracci. S’il devait s’écarter de ce mandat politique, s’opposer à Michel Barnier et à son gouvernement reviendrait à respecter la démarche du chef de l’Etat. »
La censure, déjà promise par la gauche et brandie comme une épée de Damoclès par le Rassemblement national, est une arme que le camp présidentiel ne s’interdit pas contre Michel Barnier. C’est le message véhiculé par certains macronistes alors même que le gouvernement n’est pas encore connu. Avec 97 députés, sans compter les députés centristes du MoDem, l’ancienne majorité n’entend pas céder trop facilement aux appétits féroces de la famille politique de Michel Barnier : Les Républicains. Écartelée du pouvoir depuis douze ans, la droite affiche ses ambitions ministérielles, et revendique, selon des sources concordantes, un quart à un tiers des portefeuilles, dont un ou deux ministères régaliens.
De quoi faire s’étouffer nombre de parlementaires de la Renaissance, qui ne manquent pas de souligner que les députés de Laurent Wauquiez ne sont que 47 à l’Assemblée nationale. « Avec 40 députés, les Républicains semblent avoir gagné les élections. Si Barnier veut survivre, il doit donner des assurances au camp présidentiel. »a assuré un député macroniste influent, lors des journées parlementaires de son parti, le 10 septembre. « Les LR font un pas que les socialistes n’ont pas fait, mais ils ne doivent pas être dominateurs »a prévenu, le même jour, un ministre démissionnaire. Un point de vue largement partagé au sein du groupe Ensemble pour la République (EPR).
« Les LR ont des revendications qui ne sont pas à la hauteur de leur poids politique. Le groupe EPR rappelle au Premier ministre son importance dans le cadre des négociations. »
Denis Masséglia, député EPRà franceinfo
Michel Barnier lui-même a déclaré le 12 septembre que son futur gouvernement serait certainement « équilibré, représentatif, pluriel »mais aussi « naturellement (avec) sa famille politique ». « La composition du gouvernement rend Michel nerveux, c’est incertain »soupire un ami proche du Premier ministre, reconnaissant qu’il est « subit beaucoup de pression de la part du président et des macronistes. » Depuis la nomination de Michel Barnier et de ses troupes, Gabriel Attal et ses troupes le martèlent : rien ne pourra se faire sans eux. « Il n’y aura aucune volonté de blocage ou de soutien inconditionnel de notre part »écrivait Gabriel Attal aux députés de son camp le 6 septembre. « Il existe un consensus sur le fait que le Premier ministre doit former un gouvernement équilibré et partager sa ligne politique avec les partis dont il recherche le soutien »assure un proche de l’ancien chef du gouvernement.
Sur la question de la ligne politique, un sujet est rapidement devenu un point de tension entre Matignon et le camp présidentiel : les dépenses publiques et les impôts. Après sept ans de baisses d’impôts, Michel Barnier a fait sursauter certains de ses interlocuteurs macronistes en évoquant une hausse des prélèvements. Le sujet a été aussitôt relayé par Gérald Darmanin, lors d’une réunion du groupe EPR mardi. « hors de question » de« entrer » dans un gouvernement qui augmente les impôts ou même « soutenir »a assuré mercredi sur France 2 le ministre démissionnaire de l’Intérieur. « Augmenter les impôts est la solution de facilité », « Je ne participerai pas à un gouvernement qui n’est pas clair sur la question des impôts »il a ajouté.
« Les informations partagées sont basées uniquement sur des ouï-direL’entourage du Premier ministre a immédiatement tenté de nier ces informations. La seule chose que le Premier ministre a dite, c’est qu’il n’exclurait pas d’aller vers une plus grande justice fiscale. C’est la seule voie possible. ». Mais Matignon a ensuite relayé mercredi une déclaration du Premier ministre qui n’a pas apaisé les tensions avec le camp présidentiel. « La situation budgétaire du pays que je découvre est très grave. J’ai demandé tous les éléments pour évaluer sa réalité exacte »affirme Michel Barnier, en évoquant le bilan des précédents gouvernements d’Emmanuel Macron.
« Cette situation mérite mieux que des slogans. Elle exige de la responsabilité. »
Michel Barnierdéclaration transmise par Matignon
« A quoi sert cette déclaration sur les impôts ? Vraiment, on ne voit plus rienfustige un macroniste. L’audit est un peu prématuré, c’est plutôt celui du futur ministre de l’Economie et du Budget qui doit proposer une copie à Matignon et à l’Elysée ». Et le même ajouta : « Il a été le premier à dire qu’il voulait être en action et efficace, et qu’il devait commencer à former un gouvernement en définissant une ligne claire. »
Au-delà des enjeux fondamentaux, certains macronistes évoquent « un problème de méthode » ce qui expliquerait la dégradation des relations avec Michel Barnier. « Nous n’avons aucune information sur ce qu’il prépare sur tous les sujets, ce n’est pas acceptable. Dans le contexte politique dans lequel nous nous trouvons, Matignon doit préparer sa feuille de route avec les groupes qui pourraient la soutenir »regrette un ministre démissionnaire. « Les choses deviennent tendues car il y a un réel besoin de savoir où le Premier ministre veut aller »ajoute un macroniste, tandis qu’une source parlementaire de l’EPR pointe l’absence d’échange entre Gabriel Attal et Michel Barnier.
« Barnier fait tout à l’envers. S’il veut une coalition, on ne peut pas éviter le résultat final. »
Un ministre démissionneà franceinfo
Il faut dire que la relation entre les deux hommes politiques n’est pas non plus au beau fixe. « Gabriel Attal n’a toujours pas digéré la passation de pouvoir et les piques de Barnier. Il ne se remettra de rien. »glisse un député de l’EPR. « Nous agirons plus que nous parlerons »a déclaré Michel Barnier le 5 septembre, assurant que « Le gouvernement n’aura pas la prétention de croire que la science infuse vient uniquement de lui. » Le nouveau venu à Matignon avait évoqué nonchalamment la « leçons » de son prédécesseur qui avait pris la peine de lister, pendant une vingtaine de minutes, tous les dossiers et factures en suspens qu’il avait laissés sur son bureau.
« Les relations sont très bonnes, chaleureuses et amicales avec Gabriel Attal »a insisté l’entourage de Michel Barnier quelques jours plus tard. « Il est faux de suggérer que leur relation est tendue et qu’ils ne s’entendent pas bien. »« Nous sommes très inquiets de la situation actuelle », a assuré l’entourage de Gabriel Attal le 10 septembre dernier. Tout en insistant sur les lignes rouges du groupe EPR et la nécessité pour l’ancien chef du gouvernement de veiller à l’unité de son groupe. Car derrière la composition du prochain gouvernement, c’est aussi la bataille pour la prochaine élection présidentielle qui est en vue.