Les raisons de l'échec de cette coopérative ferroviaire qui souhaitait relancer la ligne Bordeaux-Lyon
Les nouvelles les plus importantes de la journée

Les raisons de l’échec de cette coopérative ferroviaire qui souhaitait relancer la ligne Bordeaux-Lyon

Les raisons de l’échec de cette coopérative ferroviaire qui souhaitait relancer la ligne Bordeaux-Lyon

Abasourdi, mais pas complètement assommé. L’équipe dirigeante de Railcoop, cette coopérative ferroviaire qui souhaitait relancer plusieurs lignes ferroviaires abandonnées par la SNCF, notamment la Bordeaux-Lyon, n’a désormais plus d’espoir pour l’avenir de l’entreprise, mais espère que le chemin qu’elle a tracé en ces dernières années permettront de rouvrir ces lignes abandonnées.

Le 15 avril, le tribunal de commerce de Cahors (Lot) a annoncé qu’il se prononcerait « le 29 avril sur la fin de la période d’observation de la procédure de recouvrement judiciaire », a expliqué lors d’une conférence de presse le PDG de Railcoop, Nicolas Debaisieux. « Le tribunal ordonnerait très probablement la liquidation de l’entreprise », a-t-il ajouté. Il a toutefois insisté sur « la forte mobilisation des adhérents qui veulent poursuivre l’aventure. »

«Nous avons identifié un besoin de développer les offres ferroviaires interurbaines de province en province, et si la SCIC (Société Coopérative d’Intérêt Collectif) est liquidée, le fond du projet reste d’actualité», assure le PDG de Railcoop. « Peut-être que d’autres structures pourront récupérer ce que nous avons fait, pour continuer le travail. Nous avons été les premiers à nous lancer et nous avons ouvert la voie aux succès futurs », veut encore croire Nicolas Debaisieux.

Mais pourquoi le projet Railcoop a-t-il déraillé ? 20 minutes fait le point sur les raisons de cet échec.

Un lancement difficile

Créée en 2019, Railcoop s’est fixé pour objectif de relancer une liaison ferroviaire entre Bordeaux et Lyon via Périgueux, Limoges, Montluçon et Roanne. Initialement prévu pour l’été 2022, le lancement avait été plusieurs fois reporté faute de moyens. «La pandémie, notamment, a mis à mal notre plan d’affaires», estiment aujourd’hui les dirigeants.

Railcoop avait cherché en 2023 à récolter 500.000 euros supplémentaires auprès de ses 14.500 adhérents pour payer les salaires et les factures de ses fournisseurs. Fin septembre, elle n’avait récolté que 383 500 euros, l’obligeant à ouvrir une procédure devant le tribunal de commerce. Railcoop a été placée en redressement judiciaire mi-octobre, ce qui a ouvert une période de six mois pour trouver les capitaux nécessaires à garantir la poursuite de son activité.

Cette phase de redressement judiciaire « nous a permis de stabiliser la situation », assure Nicolas Debaisieux. « Nous avons convaincu un fonds d’investissement espagnol » de se joindre à l’aventure, « et nous avons obtenu une lettre d’intention d’un deuxième fonds d’investissement ». « Nous avions retravaillé le projet pour un démarrage d’activité réduit, avec un seul aller-retour par jour de Bordeaux à Lyon, ce qui a nécessité un investissement de 11 millions d’euros. Nous avions des lettres d’intention pour couvrir 60 % de ce budget, il nous manquait donc 3,5 millions d’euros. » Railcoop a notamment dû vendre deux des rames d’occasion qu’elle avait achetées, « ce que nous n’avons pas pu faire, un événement qui ne nous permet pas de continuer. »

Un conflit sur le contrat de surveillance des trains

Ce n’est pas la cause principale de l’échec de Railcoop, « plutôt la goutte d’eau qui a fait déborder le vase », analyse Nicolas Debaisieux. Les deux rames que la coopérative devait vendre sont stockées par la société ACC M, spécialiste de la restauration de matériel ferroviaire, sur son site de Clermont-Ferrand. Mais il y a eu une « divergence » entre ACC M et Railcoop sur le contrat lié au stockage de ces trains. L’entreprise clermontoise réclamait à Railcoop 880 000 euros de frais de garage. L’affaire a été portée devant le tribunal, qui a donné partiellement raison à ACC M. « La décision du tribunal de Clermont estime que 245 000 euros, liés à des dettes datant d’avant l’entrée en redressement, et 160 000 euros après l’entrée en redressement, sont dus. . » Ce que Railcoop n’a pas les moyens de payer. Et, au-delà de ces sommes, la vente des deux rames s’est retrouvée bloquée.

Une activité de fret pas assez rentable

En plus de l’activité voyageurs, Railcoop souhaitait développer une activité fret. C’est même là qu’elle a commencé. Mais en avril 2023 elle a dû suspendre sa liaison commerciale entre Viviez-Decazeville (Aveyron) et Saint-Jory (Haute-Garonne). « Le fret nous a coûté plus de 3 millions d’euros (sur un projet global estimé entre 40 et 50 millions d’euros), analyse Nicolas Debaisieux. La croissance des recettes de fret a été plus lente que prévu : nous aurions dû traiter un flux de 576 wagons pour le transport du bois, nous n’en avons traité que 80 la première année. Cela a consommé notre trésorerie. »

« Nous avons maintenu le fret autant que nous avons pu, jusqu’à ce qu’il devienne intenable », ajoute Philippe Bourguignon, administrateur de Railcoop. L’entreprise a-t-elle commis une erreur en voulant réaliser un projet sur deux fronts, le fret et les passagers ? « Il a fallu d’abord faire nos preuves, montrer qu’on savait faire rouler des trains, et c’était plus simple de commencer par le fret », analyse encore Philippe Bourguignon, à l’origine de ce choix. « Mais le problème du fret, c’est qu’il est gros consommateur d’argent liquide », reconnaît-il.

Le statut coopératif a-t-il ralenti le projet ?

Le PDG de Railcoop reste convaincu que le statut de SCIC « a été une force. » « Nous avons tout financé par une communauté engagée, et il y a eu beaucoup de travail d’analyse et d’intelligence produit grâce au modèle coopératif. » Problème : « nos statuts ne permettent pas à des investisseurs start-up de nous soutenir », mais les dirigeants de Railcoop ont compris avec le temps que le secteur ferroviaire nécessitait des capitaux importants. « C’est pourquoi nous avons changé de modèle en octobre dernier, en créant d’autres structures non coopératives, dans lesquelles des fonds d’investissement pourraient intervenir, c’est le projet que nous construisions pour arriver à une échelle industrielle », poursuit Nicolas Debaisieux.

Ce passage à un modèle « hybride » est certainement arrivé trop tard. « Nous n’avons pas pu partager ce besoin avec les adhérents assez fort et assez tôt », reconnaît Philippe Bourguignon, qui souligne « un rejet assez fort de leur part d’une évolution vers le monde privé. » Mais « il ne faut pas avoir de dogme en matière de statut d’entreprise, et il est probable que ce système hybride, tel que nous avons tenté de le développer, aurait sa place dans le développement de lignes comme Bordeaux-Lyon. »

Les communautés ont-elles suffisamment soutenu le projet ?

De nombreuses collectivités, dont de nombreux EPCI (établissements publics de coopération intercommunale), sont entrées au capital de Railcoop. Mais pour Nicolas Debaisieux, « nous n’avons pas été assez soutenus, ni par l’Etat, ni par les deux régions directement concernées que sont Bordeaux-Lyon, Nouvelle-Aquitaine et Auvergne-Rhône-Alpes ». Concernant le financement du matériel roulant et sa rénovation, « il existe un mécanisme de prêt européen garanti par l’État auquel nous n’avons pas pu accéder. » Toutefois, selon le PDG de Railcoop, « le financement du matériel, compte tenu de son coût, est un élément clé ». Lorsque l’entreprise s’est tournée vers les régions, « nous avons eu le soutien de la région Occitanie, l’implication des régions Grand-Est et Bourgogne, mais les deux régions concernées, Auvergne-Rhône-Alpes et Nouvelle-Aquitaine, ont refusé. Il y avait un manque d’intérêt. »

Renaud Lagrave, vice-président chargé des transports de la région Nouvelle-Aquitaine, n’est pas d’accord. « Nous avons rencontré Railcoop dès le début, nous leur avons dit que nous étions d’accord pour travailler avec eux sur la ligne, nous avons trouvé des accords de partage de sillons et nous leur avons proposé d’acheter des trains. En revanche, nous avons refusé d’entrer dans la capitale, car ils entrent dans la catégorie des SLO, des ‘services librement organisés’, que nous n’avons pas le droit de subventionner », estime l’élu, qui reconnaît que d’autres collectivités ont clairement Je n’ai pas eu « la même analyse. » « Par ailleurs, si Railcoop avait finalement manifesté son intérêt pour entrer sur le marché des TER, cela aurait posé un problème d’être actionnaire d’une société qui, potentiellement, pourrait répondre à nos propres appels d’offres. »

La ligne Bordeaux-Lyon trop vétuste ?

Pour Renaud Lagrave, « Railcoop n’a pas choisi la ligne la plus simple à lancer avec l’axe Bordeaux-Lyon, car il y avait un gros projet d’infrastructures à réaliser. Et ce qui détermine le service, c’est le réseau. Philippe Bourguignon reconnaît que « l’état du réseau sur cette ligne est assez désastreux, ce qui rend l’exploitation plus complexe. Il vaut mieux emprunter des lignes où le système de signalisation n’est pas trop vétuste.»

Et maintenant ?

Si la liquidation est effectivement prononcée le 29 avril, « toutes les sommes investies seront perdues », annonce Nicolas Debaisieux. « On est sur un montant moyen d’investissement de 300 euros pour les particuliers, un peu plus pour les personnes morales. Comme toute société liquidée, il y a une moins-value et une perte d’actions. » La coopérative a également reçu « environ 800 000 euros » de différentes collectivités, dont « 300 000 euros de la région Grand-Est et 100 000 euros de la métropole de Lyon ». Concernant les créances, « l’entreprise possède des actifs, des trains, dont nous sommes propriétaires. Ils seront transférés à un moment donné pour notamment couvrir les salaires.

Quitter la version mobile