« Les Raisins du Reich » : comment les grands vignobles français ont collaboré avec les nazis
La légende raconte que les vignobles et caves français furent pillés par l’Allemagne nazie pendant l’Occupation. Précieusement cachées, les bouteilles ne réapparaîtraient qu’une fois l’envahisseur vaincu. Ce n’est pas le cas. « A l’image de la société française »résume Jean Vigreux, historien à l’Université de Bourgogne, le secteur vitivinicole a eu ses collaborateurs, ses résistants, ses complaisants, ses victimes.
Le marché représentait une manne financière et une source de prestige importante pour le IIIee Reich. On ne lui a pas demandé : les lignes de démarcation, établies en juin 1940, épousent parfaitement le tracé des grands vignobles, de la Gironde à la Champagne, en passant par le Val de Loire et la Bourgogne.
Une parcelle du vignoble de Beaune offerte au Maréchal Pétain
Du côté des producteurs et des négociateurs, l’équation est simple : l’Occupation leur offre un nouveau marché, qui leur permet d’écouler les milliers de bouteilles endormies depuis la crise financière des années 1930. Partout en France, les relations commerciales – mais aussi idéologiques – entre l’Allemagne nazie et le monde du vin s’organisent, s’affichent et sont soigneusement entretenues.
Loin du mythe des caves pillées, une nouvelle ère de prospérité commerciale s’ouvre. Le marchand Louis Eschenauer, surnommé « l’empereur des Chartrons » (en référence au quartier situé au centre de Bordeaux), organisait des réceptions et déambulait en compagnie de dignitaires nazis. Heinz Bömer, l’officier allemand en charge des vins de Bordeaux, vient de lancer onze appels d’offres pour acheter des bouteilles au-dessus des prix du marché.
Dans la ville de Beaune, en Bourgogne, le maire de la commune offre, en 1943, une parcelle de vigne au maréchal Pétain, en soutien au régime de Vichy. La préparation de l’acte de propriété reflète également l’antisémitisme du monde viticole : « Pour pouvoir recevoir cette vigne, une enquête a été menée pour savoir si Pétain n’avait pas d’ancêtres juifs »se souvient Jean Vigreux.
A l’inverse, le vigneron Maurice Drouhin, pourchassé par la Gestapo qui le soupçonnait de résistant, se réfugia pendant plusieurs mois au sein des Hospices de Beaune en 1944. Huit décennies plus tard, cette réalité reste largement cachée, les maisons effrayées à l’idée de leur histoire. étant révélé. Encore, « les archives de l’épuration, notamment fiscales, révèlent que les négociants en vins sont probablement les plus touchés »explique Philippe Souleau, historien bordelais au CNRS. Omerta a la peau dure.
Les raisins du ReichFrance 2, 22h50, mardi 8 octobre 2024
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