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«Gin Panic», quand la Grande-Bretagne s’abîmait dans l’ivresse

Dans le quartier pauvre de St. Giles, à Londres, les passants ont le visage bouffi et les yeux mauvais. Leur haleine pue un mélange d’alcool fort et d’oignons crus. Certains ont un mouchoir humide enroulé autour de leur tête – un remède économe contre la gueule de bois.

Là où, quelques années plus tôt, la bière et le vin étaient encore rois dans les rues, c’est désormais le gin qui triomphe. Entre 1720 et 1750, sa consommation triple presque. Et ce sont les pauvres qui trinquent.

Gin et brandy, frères ennemis

Cette boisson alcoolisée est surnommée « Madame Genève » (le titre d’une excellente chanson de Mark Knopfler, qui peut servir de bande originale à cette histoire). Il a été élaboré pour la première fois en Hollande à partir de vin fermenté aromatisé aux baies de genièvre que les Provinces-Unies exploitaient dans leurs colonies indonésiennes. De là, la boisson serait passée sur les tables britanniques grâce à Guillaume d’Orange, ancien gouverneur des provinces néerlandaises couronné roi d’Angleterre en 1689.

Le Gin doit aussi sa popularité à son rival d’outre-Manche. Car les Anglais sont plutôt habitués à siroter du brandevin français, une boisson à base de vin distillé qui était considérée à l’époque comme un remède, un élixir et un antiseptique (« elle prolonge la santé, dissipe les humeurs superflues, ravive le cœur et préserve la jeunesse »» argumente un médecin français du XIIIe siècle).

Cependant, l’animosité entre les deux voisins embourbée dans les guerres d’Espagne puis d’Autriche conduit à une interruption des échanges commerciaux. L’absence de brandy français dans les îles britanniques ouvre l’ouverture tant attendue à la « gin water ».

« Les distilleries ont trouvé le moyen de toucher les palais des pauvres (…) à tel point que les classes populaires ne semblent plus apprécier l’eau-de-vie française comme d’habitude », témoigne le romancier Daniel Defoe. À partir des années 1720, la consommation d’alcool de grain se généralise dans la plupart des villes industrielles, explosant dans les quartiers pauvres de Londres. Vous pouvez même le distiller chez vous, dans votre baignoire.

Inondation

Alors que les brasseries traditionnelles sont très réglementées par les pouvoirs publics, exigeant, en plus d’une autorisation, que leur propriétaire assiste régulièrement à la messe, les stands de gin sont ouverts à tous vents et ne nécessitent aucun permis. Ce commerce est même stimulé par le gouvernement, qui réalise de gros bénéfices en le taxant. En 1730, pas moins de 7 000 marchands de gin remplissaient la capitale – soit plus d’un magasin pour cent habitants ! Et, à l’époque, on ne le coupait pas avec du tonic…

C’est le début de ce que nous appellerons « la folie du gin » (engouement pour le gin) ou « la panique du gin » (panique au gin). La boisson coule à flots : 22 millions de litres d’eau-de-vie ont été produits en 1734. Il paraît que, dans les quartiers populaires, elle est vendue dans des brouettes, avec des passants éméchés qui viennent chercher leur boisson !

Les distilleries s’enrichissent considérablement, tout comme les céréaliers qui peuvent revendre à prix d’or leurs stocks de céréales avariées. Les pauvres des bidonvilles en profitent pour oublier pendant quelques heures leurs souffrances, leurs membres abîmés par l’industrie, leurs corps ravagés par la malnutrition et la maladie.

Nous observons des comportements inattendus. Déjà, il n’y a pas que les vieux ivrognes qui titubent sur le trottoir crasseux, mais aussi les femmes ! La boisson, surnommée « Le délice des dames » (« Lady’s Delight ») est servi dans des gobelets élégants et plus féminins plutôt que dans de grandes chopes ringardes. Ce qui n’aide pas la santé des jeunes mamans, malgré un taux de mortalité infantile qui culmine à 35% au milieu du XVIIIe siècle…

Les excès sont, semble-t-il, nombreux. Des cas de nudité publique, mais aussi des bagarres d’ivrognes, voire des meurtres, sont rapportés dans les journaux londoniens. Les moralistes blâment les mères dont les mœurs ont été corrompues par la boisson, contraintes à la prostitution et à la maladie syphilitique pour obtenir leur dose. Bien sûr, la panique ouvre la voie à la fantaisie et à l’exagération : on raconte que deux musaraignes cuites au gin auraient été victimes d’une combustion spontanée spectaculaire !

Le gin au tribunal

Ces excès, confinés pour la plupart à la périphérie de Londres, ont alarmé le grand jury du Middlesex : « La majeure partie de la pauvreté, des meurtres et des vols à Londres pourrait être attribuée à cette seule cause. » Le Parlement britannique est finalement intervenu, promulguant plusieurs lois dans la première moitié du XVIIIe siècle pour endiguer ce commerce lucratif. Les textes sont facilement contournés par des revendeurs facétieux qui distribuent leur gin sous d’autres noms : « Brandy parlementaire », « eau colique »…

En 1751, une loi plus stricte fut votée, augmentant les taxes sur les boissons et introduisant de nouvelles obligations légales pour les distributeurs. Cette mesure, combinée à de mauvaises récoltes et à une baisse générale des salaires, va redonner une certaine sobriété à l’Angleterre du XVIIIe siècle. Bonne nouvelle : autrefois réservé à une élite, le thé devient plus économique et de plus en plus populaire dans les salons et les bars. Les céréales distillées sont remplacées par des baies innocentes. Bientôt, le l’heure du thé supplante le engouement pour le gin.

Ray Richard

Head of technical department in some websites, I have been in the field of electronic journalism for 12 years and I am interested in travel, trips and discovering the world of technology.
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