Pas d’eau, pas de permis de construire. Pour que les maires de son département n’oublient pas que l’eau est devenue une denrée rare, le préfet des Alpes-Maritimes, Hugues Moutouh, a publié il y a quelques jours une « déclaration d’État » inédite : celle-ci leur interdira d’accorder de nouveaux permis de construire si la ressource en eau des futurs bâtiments n’est pas assurée à long terme.
Plus précisément, cette « Dire », qui est en quelque sorte une doctrine exécutoire, leur explique comment l’Etat donnera son avis – obligatoire – sur les évolutions de leurs plans d’urbanisme. Ceux-ci devront désormais comporter une évaluation prévisionnelle de l’équilibre futur entre la demande et l’offre de ressources en eau. Et l’avis de l’Etat sera négatif si cette évaluation démontre que l’équilibre ne peut être assuré durablement, indique-t-il.
Petite révolution
« Les Alpes-Maritimes ont connu des sécheresses préoccupantes en 2022 et 2023 », peut-on lire dans le document daté du 22 juillet, qui rappelle que neuf communes du département ont connu des coupures d’eau en 2022 et quatorze autres ont connu de fortes tensions.
« De tels épisodes pourraient devenir fréquents dans les années à venir en raison du changement climatique : une baisse d’environ 30 % du débit des cours d’eau du département est ainsi attendue d’ici 2050, ainsi qu’une baisse drastique de l’enneigement d’ici la fin du siècle », avance le texte pour justifier cette initiative, que le préfet lui-même a qualifiée de « petite révolution ».
« En fait, à ma connaissance, c’est la première fois que l’État annonce en amont qu’il placera la question de la ressource en eau au cœur de sa décision : même si les permis de construire sont de la compétence des maires, ils ne pourront pas les accorder s’ils correspondent à un schéma d’urbanisme illégal, commente le spécialiste du droit de l’environnement Arnaud Gossement. C’est une avancée majeure ! »
Si c’est la première fois que l’Etat prend une telle initiative, certains maires avaient déjà commencé à conditionner l’octroi de permis de construire à la ressource en eau – débouchant le plus souvent sur des actions en justice. « Apparu il y a une douzaine d’années, ce type de contentieux tend à se multiplier, et pourrait s’accélérer : le sujet devient une véritable bombe à retardement », constate Julien Prieur, professeur de droit de l’environnement à l’Ecole supérieure de l’immobilier. Il en a lui-même recensé une dizaine, dans l’Hérault, en Gironde et en Haute-Savoie.
Les permis de construire gelés
Le Pays de Fayence, qui compte neuf villages perchés dans le Var, est emblématique : l’an dernier, justement par crainte de pénurie d’eau, il a décidé de limiter sa croissance démographique et de geler en conséquence les nouveaux permis de construire pendant cinq ans. « Les maires concernés ont été choqués par la sécheresse de 2022, qui les a obligés à restreindre l’accès à l’eau dans leurs villages », rappelle Annelise Muller, de France Nature Environnement en région PACA.
La décision, contestée en justice par un promoteur immobilier, a été confirmée en appel par le tribunal administratif de Toulon en février 2024. « Le juge a considéré le risque pour la santé publique », note David Deharbe de Green Law Avocats, qui juge lui aussi la tendance « très importante ». Selon lui, « ces décisions démontrent que l’eau est devenue un enjeu central ».
Avec son « Dire » inédit, l’État montre en tout cas qu’il veut reprendre la main sur une compétence largement décentralisée. « Il était temps ! » commente Julien Prieur. « Les règles permettant aux maires de conditionner l’urbanisme et l’eau existent déjà dans le Code de l’environnement ou le Code général des collectivités territoriales. Mais elles n’étaient pas vraiment appliquées, même si l’État a identifié l’importance du sujet depuis plusieurs années déjà. » Il aura fallu une grave sécheresse pour que les choses bougent.