les opioïdes associés à des stimulants continuent de causer des décès aux États-Unis
En 25 ans, quatre vagues d’« épidémies » de décès dus aux opioïdes se sont produites aux États-Unis. Selon les périodes, ils sont liés à l’overdose de médicaments mal utilisés, d’héroïne ou encore de fentanyl (et dérivés) seuls ou associés à de nouveaux opioïdes et stimulants de synthèse. Un enjeu de santé publique qui dépasse les seuls Etats-Unis.
À l’origine d’une crise qui fait rage depuis environ 25 ans en Amérique du Nord, les opioïdes sont devenus une cause majeure de décès par surdose toxique en Amérique du Nord ainsi que dans l’Union européenne (UE).
La mort de plusieurs célébrités mondiales, dont le chanteur Prince, a attiré l’attention du grand public sur une épidémie dévastatrice qui est désormais même à l’origine d’une baisse de l’espérance de vie aux Etats-Unis, selon une étude de l’Institute for Computational Médecine de l’Université Johns Hopkins. Plus de 800 000 Américains sont morts depuis 1999 à cause de la consommation d’opioïdes.
Opioïdes aux puissants effets analgésiques
Par « opioïde », on désigne toute substance, naturelle ou synthétique, susceptible d’interagir avec une famille de récepteurs spécifiques appelés récepteurs opioïdes, exprimés à la surface de certains neurones et largement distribués dans le cerveau. Les opioïdes ont donc pour principale propriété d’être de puissants analgésiques.
Le corps humain produit ses propres composés opioïdes (dynorphines, enképhalines, endorphines et nociceptines). Cependant, en cas de douleur intense, par exemple après un traumatisme, une intervention chirurgicale ou un cancer métastatique, l’effet de ces opioïdes endogènes peut s’avérer insuffisant pour atténuer la sensation douloureuse. Il devient alors utile – voire indispensable – de prendre un composé exogène à action opioïde, afin d’éviter la souffrance.
De la morphine, un opioïde naturel, aux produits de synthèse
Depuis des millénaires, le jus du pavot à opium, contenant des opioïdes naturels comme la morphine ou la codéine, est utilisé comme une panacée, notamment par les civilisations sumérienne et égyptienne. Au 19ème sièclee siècle, les molécules actives étaient extraites, purifiées puis prescrites aux patients douloureux.
Par la suite, de nombreuses molécules de structure similaire à celle de la morphine (appelées désormais « opiacés ») comme l’héroïne ou totalement synthétiques de structure différente de celle de la morphine (appelées désormais « opioïdes ») comme le tramadol, la méthadone ou le fentanyl ont été produites en le laboratoire.
Risques mortels en cas de mauvaise utilisation
Certains ont conservé des indications médicales et sont fabriqués et vendus par l’industrie pharmaceutique : ce sont des opioïdes analgésiques délivrés sur ordonnance. D’autres sont devenus des produits illicites dont la vente et l’utilisation sont interdites par les conventions internationales. C’est le cas de l’héroïne qui, faut-il le rappeler, avait été fabriquée et commercialisée au XIXème siècle.e siècle comme une médecine « héroïque ».
Malheureusement, tous les opiacés et opioïdes peuvent être consommés dans le cadre d’un trouble d’usage, parfois à titre récréatif et le plus souvent en lien avec le développement d’une addiction. Ils peuvent donc être responsables d’un risque de décès majeur. C’est ce phénomène qui est à l’origine de la crise des surdoses mortelles en Amérique du Nord.
La consommation d’opioïdes provoque des effets indésirables importants (constipation, nausées, somnolence, rétention urinaire, etc.) qui peuvent être acceptables lorsqu’on souffre d’un cancer ou des conséquences d’un traumatisme ou d’une intervention chirurgicale. Cette consommation n’est cependant pas dénuée de risques vitaux, notamment en cas d’abus ou de mésusage.
Le mésusage des opioïdes prescrits comme médicaments, comme des opioïdes illicites utilisés comme médicaments, expose à un risque d’arrêt respiratoire brutal (les spécialistes parlent de dépression neuro-respiratoire), qui dépend de la dose consommée.
A l’origine de la crise : une publication faussement rassurante
Depuis près d’un quart de siècle, une grave épidémie de décès secondaires à des surdoses d’opioïdes sévit en Amérique du Nord, et particulièrement aux États-Unis. Dans ce pays, trois vagues successives de décès ont été décrites depuis 1999, liées respectivement aux opioïdes prescrits comme médicaments (1999-2010), à l’héroïne (2011-2015) et au fentanyl (2016-2020). On parle désormais d’une quatrième vague liée à la combinaison de fentanyl et de stimulants illicites (2020-2024).
Plusieurs phénomènes concomitants ont contribué à l’apparition de cette crise. L’augmentation du recours aux analgésiques opioïdes au début du XXIe sièclee siècle aux États-Unis était initialement le résultat de prescriptions médicales excessives et inadéquates favorisées par une formation universitaire et postuniversitaire erronée des médecins.
En effet, la prescription large de ces médicaments a été rendue à tort rassurante suite à la publication d’un article dans la revue médicale Journal de médecine de la Nouvelle-Angleterre expliquant l’absence de risque de développer une dépendance en cas d’utilisation prolongée d’un analgésique opioïde. Il s’agissait en fait d’une étude observationnelle publiée sous forme de lettre à l’éditeur, portant sur un petit nombre de patients, sans valeur de démonstration ni validation externe.
Marketing agressif et prescriptions incontrôlables
Cet article a ensuite été référencé des centaines de fois dans la littérature médicale pour étayer cette fausse théorie, sans preuve supplémentaire. Les prescriptions inadéquates d’analgésiques opioïdes ont alors grimpé en flèche, alimentées par le marketing agressif et abusif d’une société, Purdue Pharma, qui faisait la promotion de son produit oxycodone auprès des médecins, des pharmaciens et des patients. Cette entreprise est aujourd’hui en faillite et ses dirigeants accusés d’avoir causé la mort d’un demi-million de personnes.
L’absence de contrôle strict des prescriptions médicales par les autorités sanitaires s’est ensuite ajoutée comme facteur contributif, permettant à ce phénomène de se développer jusqu’en 2010, avant une décision de retrait de l’oxycodone du marché par le laboratoire Purdue Pharma. ne soit pas prise.
Cette drogue était alors devenue la principale cause de décès par surdose d’opioïdes aux États-Unis, les comprimés étant souvent pillés puis sniffés ou injectés par voie intraveineuse par des patients devenus dépendants suite à leur prescription d’analgésique opioïde au long cours.
Ainsi, à cette époque, la prescription d’un opioïde à un membre de sa propre famille et, de fait, la disponibilité à domicile de ce type de produit, était devenue le principal facteur de risque de survenue d’une surdose, en tout état de cause. quelqu’un qui a déjà reçu une ordonnance d’opioïdes.
Avec le fentanyl et ses dérivés, une accélération de la crise
Par la suite et après le retrait du marché de l’oxycodone de Purdue Pharma et son remplacement par une formulation non pillable à libération retardée, les patients toxicomanes se sont tournés successivement vers la consommation d’héroïne (produite et importée d’Afghanistan) puis de fentanyl (produit à moindre coût dans les laboratoires de synthèse principalement au Mexique, à partir de matières premières importées de Chine ou d’Inde).
De puissants analogues structurels du fentanyl, initialement synthétisés comme médicaments candidats possibles par l’industrie pharmaceutique, sont ensuite devenus les principales sources de décès par opioïdes et de l’accélération de la crise des décès aux États-Unis. Malgré une baisse rapide de la consommation d’opioïdes sur ordonnance à partir de 2010, les décès par surdose ont continué d’augmenter et une accélération a même été observée jusqu’en 2024.
Ainsi, en 2023, environ 90 000 décès ont été attribués à des surdoses d’opioïdes aux États-Unis, et plus de 85 % d’entre eux au fentanyl et ses dérivés. En 2022, environ 50 millions de pilules frelatées et 4,5 tonnes de poudre de fentanyl ont été saisies par les autorités douanières américaines, totalisant 388 millions de doses mortelles. De quoi tuer toute la population américaine.
Désormais, consommation récréative et nouvelles molécules de synthèse
Aujourd’hui, la consommation récréative de fentanyl et de ses dérivés, en association avec des drogues stimulantes (cocaïne et amphétamines) représente le fer de lance de l’épidémie, chez les jeunes consommateurs et dans un contexte essentiellement festif.
Il faut savoir que le fentanyl est 300 fois plus puissant que la morphine et qu’un de ses dérivés, le carfentanyl, est 10 000 fois plus puissant que la morphine… donc très toxique.
Différents facteurs ont ainsi contribué à la progression quasi exponentielle et irrémédiable de l’épidémie entre 2020 et 2024, parmi lesquels notamment :
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l’émergence de nouvelles molécules de synthèse très puissantes dont les dérivés du fentanyl mais aussi d’autres types d’opioïdes comme les nitazènes,
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le développement de composés à haut risque de dépendance et d’acquisition rapide de tolérance,
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l’usage combiné de plusieurs drogues, comme des stimulants mais aussi de la xylazine (« drogue zombie »).
Des facteurs de vulnérabilité individuelle, génétiques ou non, expliquent également le risque accru de décès chez certains consommateurs. Enfin, le mode de vie de la société occidentale moderne a été remis en question en favorisant la consommation de drogues de plus en plus dangereuses.
En cas de surdosage : signes typiques pour un diagnostic rapide
Une dépression neurorespiratoire consécutive à un surdosage aux opioïdes entraîne chez le patient un syndrome typique associant :
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un coma avec myorelaxation, c’est-à-dire faible tonus musculaire (hypotonie) et abolition des réflexes tendineux,
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contraction extrême et bilatérale des pupilles (myosis serré),
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un ralentissement de la fréquence respiratoire à moins de 12/min (bradypnée).
Ce tableau est facilement identifiable, ce qui permet un diagnostic clinique rapide et un traitement immédiat en cas de surdosage, sans nécessité d’analyses complémentaires. Si la dépression neurorespiratoire persiste, un arrêt respiratoire survient, suivi rapidement d’un arrêt cardiaque.
Différents mécanismes additifs ont été proposés pour expliquer le risque accru de mort subite avec les dérivés du fentanyl et notamment l’apparition d’une rigidité du muscle du diaphragme (le « syndrome de la paroi thoracique en bois »).
Le traitement thérapeutique est également relativement simple. La naloxone est le seul antidote disponible en clinique.
Lire la suite : Connaissez-vous la naloxone, un puissant antidote aux surdoses d’opioïdes ?
Traitements et pistes de recherche pour limiter les décès
Un dernier mot pour souligner l’importance des stratégies visant à réduire le risque de décès par surdose d’opioïdes. Elles s’appuient sur le recours généralisé aux traitements de substitution (en France, méthadone et buprénorphine à forte dose) et sur la fourniture dans la communauté de naloxone dite « à emporter », utilisable par toute personne, même sans connaissance médicale, qui aurait été témoin d’un possible surdose chez un utilisateur connu d’opioïdes retrouvé inconscient.
Enfin, le développement de nouveaux analgésiques et de nouvelles formulations d’opioïdes dépourvus de toxicité neuro-respiratoire semble prometteur, mais encore en phase de développement préclinique avec des échéances incertaines.
En conclusion, les surdoses d’opioïdes représentent un problème de santé publique mondial persistant. Mais l’espoir est apparu il y a quelques semaines avec, pour la première fois depuis 25 ans, une baisse du nombre de décès par overdose d’opioïdes aux Etats-Unis. Un 25e anniversaire certes triste… mais désormais, avec en vue l’espoir d’une éventuelle sortie de crise.