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les marchés au bord de la dépression nerveuse

À qui le Premier ministre Michel Barnier a-t-il voulu faire peur lors de son intervention télévisée mardi soir ? Son message s’adressait sans doute à la majorité impossible à obtenir du Parlement, mais il a été entendu principalement sur les marchés financiers. « Il y aura probablement une tempête et des turbulences assez graves sur les marchés financiers »a-t-il prévenu en cas de blocage institutionnel sur le budget.

A l’ouverture des marchés ce mercredi, la prime de risque de la dette française à dix ans (écart de rendement entre l’OAT française et le Bund allemand) s’est envolée jusqu’à près de 90 points de base, un niveau jamais atteint depuis mi-2012.

Même l’annonce de la dissolution par le président Emmanuel Macron en juin dernier n’a pas porté la « propagation » française à des niveaux aussi élevés.

Certes, cette prime de risque est encore loin des 190 points de base lors du pic de stress de marché de la crise de l’euro en novembre 2011. Mais un tel mouvement haussier sur une dette souveraine aussi profonde et liquide que celle de la France, notée AA-/ Aa3 (c’est-à-dire parmi les meilleures signatures européennes) est rare. La fièvre est également rapidement tombée à environ 86 points. Cela reste un niveau élevé, alors que cet écart de rendement était d’environ 60 points de base en début d’année. En tout cas supérieure à la prime de risque de l’Espagne ou du Portugal.

Vers un propagé à 100 points de base ?

Pour autant, Michel Barnier n’a pas joué au pompier-incendiaire. Il a seulement alerté d’une forte dégradation de cette prime de risque ces derniers jours, alors que les débats parlementaires sur le budget s’éternisaient et, surtout, alors qu’apparaissaient les premières menaces de censure du gouvernement émanant du Rassemblement national (RN). Or, cette prime de risque est devenue, ces derniers mois, un indicateur très suivi… par la classe politique. En moins de deux semaines, le propagé est passé de 70 points de base à 80 points de base, un niveau jamais vu depuis juin.

« Les acteurs du marché aiment les chiffres ronds et le prochain objectif est donc clairement de 100 points de base »plaisante un responsable des tarifs.

« A 88 points de base, ce n’est plus la mer calme de 20 à 40 points de base que nous avons connue entre 2015 et 2020, mais ce n’est pas encore la tempête comme en 2011 et 2012. Mais la « dynamique » n’est pas favorable. et le risque c’est de voir le marché aller jusqu’à 100 points de base »confirme Alexandre Baradez, responsable de l’analyse de marché chez IG.

Le stress franco-français

Alors pas de panique sur les marchés, loin de là. Il existe des forces de restauration. Tout d’abord, la Commission européenne a validé la trajectoire budgétaire de la France. Ce qui n’était pas forcément gagné. Ensuite, seul le propagé OAT/Bund s’est finalement retiré. Le spread italien BTP/Bund non seulement n’a pas évolué mais il reste aux niveaux les plus bas depuis fin 2021 (autour de 125 points de base). Mais l’Italie est bel et bien le pays à surveiller lorsqu’il existe un risque sur la dette souveraine de la zone euro. Le choc sur les marchés est donc bien franco-français.

« C’est dommage pour la France qui ne peut rien proposer de rassurant, mais la bonne nouvelle, à l’échelle européenne, c’est que contrairement à la crise de 2011, il n’y a pas de contagion »observe Alexandre Baradez.

Enfin, ce stress des marchés intervient au moment où les taux longs européens sont sur une pente baissière depuis l’élection de Donald Trump, sur fond de craintes d’une guerre commerciale entre les Etats-Unis et l’Union européenne. Résultat, le taux de l’OAT – celui effectivement payé par l’Etat – a plongé depuis le 5 novembre de 3,15% à 3,02% aujourd’hui ! Simplement, le Bund a chuté plus vite que l’OAT !

Veillée aux armes

Une crise politique majeure (et durable) aurait néanmoins un effet négatif sur la dette française au-delà de la prime de risque. Le timing n’est pas très bon puisque l’agence de notation S&P Global doit se prononcer vendredi sur la qualité de la dette française (AA-, stable) dans le cadre de sa revue semestrielle. Même si le marché anticipe déjà une baisse d’un à deux crans de la note de crédit de la France.

Mais surtout, le Trésor doit présenter début décembre aux investisseurs son programme d’émissions pour l’année 2025, soit quelque 300 milliards d’euros.

« Le mois de janvier risque aussi d’être un peu compliqué avec la réouverture des programmes diffusés. Ce sera alors un test clé pour le Trésor.”prévient Matthieu de Clermont, directeur des investissements chez Allianz Global Investors.

Durant l’été, il y avait déjà un point de tension lorsque les investisseurs non-résidents, notamment japonais, se sont montrés vendeurs nets de dette française. Un budget non voté aurait alors un effet plus négatif sur les non-résidents qui sont les principaux acheteurs de la dette française, loin devant les banques françaises. Déjà, selon Geoff Yu, stratège chez BNY, note dans une note que « cette semaine a été la pire pour la dette française depuis deux ans, l’OAT française étant confrontée à la période de ventes nettes la plus concentrée depuis le pic de la crise énergétique européenne fin 2022 ».