Les lunettes Meta Ray-Ban sont-elles vraiment illégales en France ?
Les lunettes Meta Ray-Ban ont la particularité de pouvoir filmer et photographier, via un capteur placé dans la monture. Bref, l’accessoire se comporte comme un appareil photo ou un caméscope. Mais cette capacité viole-t-elle la loi en cas de capture dans la rue ?
C’est une discussion animée que vous avez peut-être croisé sur X (anciennement Twitter) ces derniers jours, surtout si vous êtes intéressé par des sujets à la croisée du numérique et du droit. Le point de départ de toute cette affaire ? La publication sur Numerama du test des lunettes connectées Meta Ray-Ban, après un an d’utilisation.
Dans l’ensemble, ces lunettes Meta Ray-Ban fonctionnent comme un appareil photo/caméra. Ils ont la capacité de photographier et de filmer, grâce à la présence d’un capteur embarqué dans une branche de l’accessoire. Cela n’arrive pas constamment : il faut une action pour déclencher une photo ou une vidéo (un appui court, une photo, un appui long, une vidéo). Un comportement, en somme, similaire à celui d’un appareil photo ou d’un smartphone
Pour signaler aux autres personnes que les lunettes captent quelque chose, un émetteur de lumière est prévu et se déclenche. Quant aux photos et vidéos ainsi obtenues, elles sont d’abord stockées localement dans les lunettes, puis transmises au téléphone préalablement connecté, via une connexion sans fil (via Wi-Fi Direct).
Des attributs certes inhabituels pour des lunettes, mais ils ne sont pas les premiers du genre. Douze ans plus tôt, Google avait marqué les esprits avec les Google Glass, mais sans vraiment dépasser le stade du prototype. Pour les Meta Ray-Ban, la vente est conclue, et ce pour trois ans. Y compris en France.
Et les Snapchat Spectacles existent depuis encore plus longtemps.
Les lunettes Meta Ray-Ban, illégales en France ?
Ce sont précisément ces deux points (possibilité de photographier et de filmer et commercialisation en France) qui ont suscité un débat sur la légalité du produit. En effet, il a été avancé que le port de lunettes à l’extérieur ou dans les lieux publics s’avérerait illicite. Bref, ce serait une captation de l’espace public.
Il est vrai que cette pratique est soumise à un encadrement précis, et surtout à certaines restrictions. En matière de vidéosurveillance par exemple, il a été rappelé par la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) dans un article de 2018 que « seules les autorités publiques peuvent filmer sur la voie publique « .
Cette possibilité est interdite aux établissements publics et aux entreprises, mais également aux particuliers, rappelle également la CNIL. Ils ne peuvent filmer qu’à l’intérieur de leur propriété. Par exemple, il est impossible de pointer une caméra vers votre voiture si elle est garée à l’extérieur, même devant votre domicile, car elle se trouve sur la voie publique.
Pour autant, l’encadrement imposé aux caméras de vidéosurveillance s’applique-t-il à tout autre système de capture d’images ? Ceci, alors que les finalités et les règles de fonctionnement ne sont pas les mêmes ? Bref, faut-il placer les dispositifs et les usages sur le même plan et sous le même régime juridique, sans distinction ?
En fait, si l’on interprète la loi avec une lecture maximaliste, cela suggère techniquement que prendre des photos avec son smartphone – un acte désormais si courant aujourd’hui, bien que réglementé (par exemple avec le droit à l’image) est également interdit. Car le défi fondamental qui se pose ici ne se limite pas aux seules lunettes connectées.
Interrogée justement à ce sujet par Numerama après l’apparition de ce problème, la CNIL n’a pas été en mesure de nous répondre. L’organisme administratif indépendant nous a simplement confirmé qu’il avait « a enregistré une plainte » à propos de ces lunettes. Elle a depuis lancé un « instruction « , ce qui l’empêche de nous communiquer quoi que ce soit.
» Il n’y a aucun moyen d’affirmer avec certitude que ces lunettes sont illégales à l’heure actuelle. »
Cependant, également sollicité pour un éclairage juridique, l’avocat expert en droit du numérique Alexandre Archambault apporte un regard beaucoup plus nuancé sur le caractère illégal de l’accessoire connecté. Ceci, même s’il existe un cadre dans l’Union européenne établi par le Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD).
Donc, » ce n’est pas parce que la doctrine est relativement stabilisée sur la vidéosurveillance statique d’un immeuble d’habitation privé ou d’un commerce qu’il faut conclure que la solution s’applique nécessairement à un
solution embarquée dans le domaine public », note Maître Archambault, contacté par Numerama.
» Il n’y a pas de droit absolu », souligne-t-il, y compris en matière de vie privée et de protection des données personnelles. Les droits qui leur sont attachés il faudra peut-être le concilier avec d’autres intérêts « . Par exemple, un employeur peut avoir besoin d’accéder à des messages privés si ceux-ci ont été échangés via des outils professionnels.
En d’autres termes, « pour À ce stade, il serait très présomptueux de conclure que (ces lunettes) sont illégales. Rien ne permet de le dire avec certitude à l’heure actuelle. », poursuit l’avocat, en raison notamment de l’absence de texte à valeur législative l’interdisant clairement. Suffisant pour faire un pas supplémentaire et dire que si ce n’est pas interdit, c’est donc autorisé ?
Cela reste à voir. Quoi qu’il en soit, il apparaît que ce sujet n’est pas aussi simple à trancher que cela. Le 26 octobre, nos confrères de 01net ont abordé le sujet sous un autre angle, celui des dashcams, ces petites caméras embarquées qui se fixent sur le pare-brise pour avoir, par exemple, une vidéo à réaliser en cas d’accident.
Egalement contactée, la CNIL laisse entendre dans sa réponse que le problème n’est pas résolu. Elle l’admet certainement » deux problèmes pratiques » au regard du RGPD, en vigueur depuis 2018, sans faire état dans sa réponse du caractère absolument illégal associé à ces appareils. Bref, faute de cadre clair, on pourrait y lire une forme deégalité.
Toutefois, le régulateur des données personnelles (sa mission consiste notamment à aider les individus à exercer leurs droits à ce sujet) a indiqué qu’il n’avait pas encore pris position sur cette question. Tout ce qu’elle dit c’est » faire preuve de prudence » avec ces dashcams. Une recommandation qui pourrait donc être dupliquée pour les lunettes connectées.
D’ailleurs, ajoute Maître Alexandre Archambault, « signe que le sujet est tout sauf stabilisé, en l’absence de toute interdiction législative, les autorités de protection des données ont un avis divergent « . Il prend ainsi le cas de l’homologue néerlandais de la CNIL, qui a analysé les dashcams et le mode Sentinel des voitures Tesla.
Il semble que l’Autoriteit Persoonsgegevens « n’est pas parvenu à la conclusion qu’il existait une interdiction de principe « . Elle aussi » rappelé que ce n’est pas l’outil qui est illégal en soi, mais la manière dont son détenteur peut l’utiliser « . De quoi offrir une sortie légale à Meta et ses lunettes connectées Ray-Ban ? Peut-être.
Quoi qu’il en soit, ce débat pose une question clé sur la relation entre droit et pratique, et sur la manière dont l’un parvient à répondre et à s’adapter à l’autre. La rue est aujourd’hui largement filmée et photographiée, de manière plus ou moins visible. Faut-il renverser la situation et considérer que tout cela est illégal ? Ou que les textes sont en retard ? Si l’on considère que l’usage fait loi, alors peut-être devrions-nous mieux en tenir compte.