Alors que la Fête du Livre de Paris ouvre ses portes ce vendredi, une étude met en lumière la progression continue de l’achat et de la vente de livres d’occasion. Au point de faire de l’ombre au secteur de l’édition ?
Publié le 10 avril 2024 à 19h00
CONTRELe mercredi 10 avril 2024, Leboncoin référence sept millions d’annonces de livres à prix cassés. Plus de cinq cents particuliers proposent le dernier Goncourt veille sur elle, de Jean-Baptiste Andrea, au mieux disponible pour la modique somme de 8 euros, soit pas loin du tiers de son prix de vente en librairie. Vous pouvez également y acheter à moitié prix Un animal sauvage, le dernier roman de Joël Dicker (11 euros), ou Baumgartner, de Paul Auster (12 euros). Deux livres tout juste sortis en mars qu’on a d’ailleurs déjà trouvé sur Vinted pour 1 ou 2 euros de plus (12 et 14 euros).
Ce 10 avril, j’ai ouvert Momox sur mon téléphone portable. Avec cette appli, pas besoin, comme sur Leboncoin ou Vinted, d’attendre qu’un particulier partage mes goûts pour désherber ma bibliothèque, Momox les achète lui-même. Il me suffit de scanner le code barre des livres et, grâce à un algorithme qui calcule en temps réel l’offre et la demande pour chacun d’eux, ainsi que la durée prévue de leur stockage, je sais combien Momox m’en propose. . . Soyons clairs, la fortune n’est pas au bout de l’application. Ce matin, elle m’a proposé 0,15 centime d’euro pour L’homme qui aimait les chiens, de Léonard Padura. Une somme dérisoire pour ce magnifique livre.
L’application Recyclivre est plus généreuse avec ses 0,72 centimes d’euro, et elle reverse 1% de son chiffre d’affaires annuel à des associations. Si en plus je peux avoir la conscience tranquille… Julia préfère Book Off pour son côté pratique. Elle prend rendez-vous en ligne et, au jour et à l’heure convenus, un cycliste cargo emporte ses livres devant sa porte. Après devis, elle sera informée par téléphone du montant qui lui sera versé et pourra venir récupérer les livres refusés ou les faire recycler gratuitement.
Un thriller sur deux est acheté d’occasion
Nous sommes des millions à acheter et vendre des livres d’occasion. C’est ce que révèle une étude d’envergure rendue publique aujourd’hui par la Société française des intérêts des auteurs écrits (Sofia) et le ministère de la Culture. Selon cette étude dont les premiers résultats ont été dévoilés il y a tout juste un an, un Français sur six a acheté au moins un livre d’occasion en 2022 et, chaque année – sauf en 2020 en raison de la pandémie – ils sont de plus en plus nombreux à acheter un livre d’occasion. les gens le font. Désormais, près d’un livre sur cinq est acheté d’occasion, à un prix en moyenne deux fois et demie inférieur à celui d’un livre neuf. Un pourcentage encore plus élevé dans certains genres comme le roman policier, où un livre sur deux est acheté d’occasion, et, dans une moindre mesure, le roman SF ou sentimental (un sur trois).
Si l’on peut toujours chercher une bonne affaire dans les vide-greniers, les brocantes ou les bouquinistes, la place prise par les plateformes en ligne dans les échanges de livres et dans l’importance des volumes échangés n’est évidemment pas étrangère à cette évolution. Cela aurait pu aller de pair avec une plus grande démocratisation de la lecture. Ce n’est pas ainsi. Les acheteurs de livres d’occasion ressemblent beaucoup aux acheteurs de livres neufs. Et pour cause, ce sont souvent les mêmes. Des lecteurs passionnés appartenant à des catégories socioprofessionnelles aisées, des ménages avec enfants et des femmes. Surtout les femmes. Proportionnellement, ils sont encore plus nombreux à acheter des livres d’occasion.
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Sans surprise, leur principale motivation est économique et les outils toujours plus performants mis à leur disposition (alertes de disponibilité, comparaisons de prix entre plateformes, etc.) les ancrent dans leurs usages. Plus de la moitié des acheteurs qui combinent des biens neufs et d’occasion déclarent rechercher d’abord un titre spécifique sur le marché de l’occasion. Et parmi les acheteurs d’occasion, un sur deux déclare souvent acheter d’occasion alors qu’il envisageait initialement de se procurer le livre neuf. En revanche, les considérations environnementales n’interviennent guère dans les motivations des achats d’occasion.
Si les Français achètent beaucoup, quatre d’entre eux sur dix ont déjà revendu un livre. Une pratique directement corrélée à leurs usages : acheteurs et vendeurs sont en effet souvent les mêmes. Deux acheteurs exclusifs de livres d’occasion sur trois sont également des vendeurs. A l’inverse, seul un tiers des acheteurs exclusifs de livres neufs vendent certains de leurs livres. Les revendeurs sont en moyenne plus jeunes et se situent plus souvent dans les catégories « salariés et ouvriers ». Comme les acheteurs, leur principale motivation est économique. Ils cherchent avant tout à gagner un peu d’argent mais ne s’enrichiront jamais ainsi. Deux revendeurs sur trois vendent moins de dix livres par an, pour un gain inférieur à 50 euros.
Et qui paiera pour la création ?
L’étude montre également que les livres d’occasion ont encore de beaux jours devant eux puisque acheteurs comme vendeurs entendent poursuivre leurs achats à l’avenir, voire les augmenter. Un risque pour le secteur de l’édition car, si les sommes dépensées par les Français pour acheter des livres d’occasion ne représentent qu’un peu moins de 10 % de la valeur du marché de l’édition (350 millions d’euros), le manque à gagner pour les éditeurs ne cesse de croître.
« Les acheteurs, lecteurs, consommateurs de livres revendent à d’autres acheteurs, lecteurs, consommateurs de livres avec un intermédiaire au milieu qui n’a pas créé de livres, ne les vend pas, ne les stocke pas, mais met simplement en contact acheteurs et revendeurs potentiels dans une économie totalement déconnectée de celle du livre », analysait l’an dernier le réalisateur de Sofia, Geoffroy Pelletier. Une évolution périlleuse. C’est le marché du neuf qui paie la création, pas le marché de l’occasion. Rien pour les auteurs, rien pour les éditeurs, rien pour les libraires.