Dans la campagne dunkerquoise, un drone bourdonne entre les lignes électriques, à la recherche de signes d’usure ou d’anomalies : un aperçu du chantier colossal qui doit être mené pour moderniser et adapter le réseau à des aléas climatiques extrêmes plus fréquents.
Une fois téléchargées sur un ordinateur, ces images capturées par un technicien drone d’Enedis, principal distributeur d’électricité en France, seront traitées grâce à l’intelligence artificielle.
Il s’agit de « pré-détecter les anomalies qui pourraient survenir sur ce réseau haute tension dans les prochaines années », explique Majid Ziraoui, délégué territorial Nord chez Enedis, lors d’un chantier d’inspection dans un champ à Téteghem-Coudekerque-Village.
L’objectif d’Enedis ? « Renouveler les réseaux de manière ciblée et les rendre plus robustes face au changement climatique », résume son directeur technique, Hervé Champenois.
Enedis consacre actuellement 1 milliard d’euros par an à la modernisation et à la « résilience » de son réseau qui amène l’électricité jusqu’aux foyers et aux entreprises, commerces et petites industries – soit 1,4 million de km de lignes au total.
Câbles, poteaux, pièces métalliques… « Avec des équipements plus modernes, nous permettons à ce réseau d’être plus performant face aux aléas climatiques, notamment face au risque éolien », explique M. Ziraoui.
« Les risques climatiques ont toujours existé sur le réseau, mais ce que nous observons aujourd’hui est peut-être une résurgence plus importante », poursuit-il.
Rien qu’en 2023, Enedis a enregistré 21 « événements climatiques majeurs » dont 16 tempêtes – soit entre 4 et 9 événements par an depuis 2015. D’où cet impératif de rénovation. Mais il s’ajoute à d’autres immenses défis pour le réseau, qui devra aussi se redimensionner pour accueillir les énergies renouvelables qui remplaceront le pétrole et le gaz.
Pour ces projets du siècle, Enedis et RTE, le gestionnaire des « autoroutes de l’électricité » qui partent des centrales nucléaires et des parcs éoliens et solaires, anticipent un investissement vertigineux de près de 200 milliards d’euros d’ici 2040 (96 pour Enedis).
– Risque accru de pannes –
Aujourd’hui, « environ un quart des réseaux électriques mondiaux sont exposés à de violentes tempêtes et plus de 10 % (…) sont exposés aux cyclones tropicaux, notamment en Amérique du Nord, en Australie et en Asie de l’Est », selon un rapport de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) sur la résilience climatique pour la sécurité énergétique.
Les cyclones, les vagues de froid intense et les vagues de chaleur peuvent provoquer des coupures de courant « en raison de dommages au réseau » mais aussi des « déséquilibres entre l’offre et la demande » lorsqu’il faut allumer radiateurs et climatiseurs, souligne également l’AIE.
– 130°C –
En France, les tempêtes de 1999 qui ont privé d’électricité 3,5 millions de foyers, un véritable électrochoc, ont conduit Enedis à accélérer l’enfouissement de ses lignes aériennes ; RTE à installer des pylônes anti-cascade (qui évitent la chute de pylônes par effet domino) et des lignes résistant à des vents de 180 km/h, contre 130 km/h en 1999.
Sans ses investissements, les dégâts de la tempête Ciaran qui a balayé le Nord-Ouest fin 2023 auraient été plus importants, assurent les deux dirigeants.
Aujourd’hui, la majorité des nouveaux réseaux d’Enedis sont enterrés, mais cette technique souterraine, parfois considérée comme une solution idéale, présente aussi ses inconvénients.
Dans les villes, où la plupart des réseaux sont enterrés, les vagues de chaleur peuvent mettre à rude épreuve les câbles, même s’ils sont conçus pour résister à des températures supérieures à 90°C sous l’asphalte. Lorsque la chaleur s’accumule au fil des jours et des nuits, les températures souterraines peuvent atteindre 120-130°C, augmentant le risque de vieillissement des câbles et, à terme, de « panne ».
Particulièrement vulnérables, les vieux câbles à isolation « papier » imprégnée d’huile sont peu à peu remplacés par des câbles à isolation synthétique. Les ingénieurs développent également des moyens de surveiller le câble comme avec un « stéthoscope » : « on mesure de petits défauts d’isolation (…) qui nous alertent sur la fin de vie ou le risque de rupture d’un câble », explique Jérôme Fournier, directeur de l’innovation chez Nexans, la multinationale française du câble.
« Face aux impacts croissants du changement climatique », les investissements dans des réseaux résilients apportent « plus d’avantages que de coûts », affirme l’AIE. Mais à leur niveau actuel, ils « restent probablement bien en deçà des besoins ».
publié le 16 août à 05h31, AFP