Gnamé Diarra n’était pas vraiment destiné à suivre cette voie. « Je me rêvais plutôt professeur d’espagnol ou d’anglais », raconte la native de l’Oise, issue d’une famille de huit enfants, fille d’une mère au foyer et d’un père tantôt ouvrier d’entretien, tantôt agent d’aéroport. Sauf que Gnamé Diarra, 24 ans, est le premier de sa famille à poursuivre des études supérieures et se tourne finalement vers le journalisme.
Deux filles de sa classe lui disent même qu’elle devrait se spécialiser dans le sport, compte tenu de sa passion pour le football. Hésitation, d’abord, sur ses capacités. Certes, elle ne rate aucun match du Real, est une observatrice attentive des championnats espagnol, anglais et français, mais est-elle aussi légitime que ceux qui jouent et regardent le football depuis l’enfance ?
À l’été 2023, alors que son master 2 se termine, Gnamé Diarra rejoint la rédaction de Alors pied, stage. L’expérience s’avère convaincante. Enthousiaste de ses perspectives, la novice a adressé son dossier à la Commission de la carte d’identité des journalistes professionnels (CCIJP), composée de collègues syndiqués et d’employeurs, chargée de délivrer le précieux sésame.
Problème, son dossier ne convient pas. Gnamé Diarra remplit toutes les conditions nécessaires mais, sur la photo envoyée, elle porte un voile couvrant ses cheveux. Si les journalistes peuvent ainsi travailler, la CCIJP soutient que la photo sur la carte professionnelle doit respecter des règles similaires à celles d’un passeport par exemple.
Même si personne n’a jamais pu voyager avec et qu’un rapide survol révèle le non-conformisme des autres clichés. Certains journalistes posent de profil, avec des lunettes, dans un jardin… La CCIJP affirme s’appuyer sur le droit du travail et affirme que des demandes de mise en conformité sont en cours.
Reste que Gnamé Diarra a dû choisir entre la reconnaissance de ses pairs et ses convictions intimes. Alors, elle s’est découverte pour récupérer sa carte. Il y aurait trois ou quatre journalistes dans cette affaire en France. « Je travaille avec mon voile et personne ne m’a jamais fait de remarques, elle partage. J’ai obtenu ma carte Sports Presse auprès du Syndicat des journalistes sportifs de France, qui ne m’en a rien dit. Dans un métier où on prétend représenter la société, je ne comprends pas pourquoi on refuse la présence de certaines personnes. » Car c’est bien là le cœur du problème.
Qui a le droit, ou non, de le dire au monde ? Alors que la méfiance à l’égard des journalistes ne cesse de croître, alors que la diversité des profils assure la pluralité des récits, et donc la qualité de l’information, n’est-il pas temps de modifier une régulation stigmatisante et excluante ?