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les Jeux financent-ils les Jeux, comme l’affirme Emmanuel Macron ?

les Jeux financent-ils les Jeux, comme l’affirme Emmanuel Macron ?

Les Français devront-ils payer la facture de Paris 2024 ? « Les Jeux financent les Jeux » Emmanuel Macron a une nouvelle fois répondu, lundi 15 avril, concernant les conséquences de cet événement mondial sur les finances françaises. Ce n’est pas la première fois que l’exécutif, comme les organisateurs, cherchent à rassurer le contribuable en utilisant ce slogan, qui tend d’ailleurs à réapparaître lors de chaque édition.

Or, à trois mois de la cérémonie d’ouverture, la facture frôle les 9 milliards d’euros, selon l’exécutif, soit deux milliards de plus que ce qui était prévu en 2019. S’il faudra attendre la fin du concours pour connaître le chiffre final montant, il pourrait même approcher les 12 milliards, estime le cabinet de conseil Asterès. Jusqu’où la facture va-t-elle réellement s’élever et quelle part sera payée avec des fonds publics ? Les recettes liées à l’événement suffiront-elles à compenser les dépenses, comme le suggère le président de la République ? Franceinfo a décrypté le budget Paris 2024 avec deux économistes du sport.

Le slogan utilisé par Emmanuel Macron n’est pas nouveau. « En 1976, après les Jeux olympiques de Montréal, il y avait un déficit public de 1,5 milliard de dollars. Le Comité international olympique (CIO) a décidé, à partir de ce moment-là, que les Jeux paieraient les Jeux. C’est devenu un leitmotiv. », explique à franceinfo Wladimir Andreff, économiste et président du conseil scientifique de l’Observatoire du sport, rattaché au ministère des Sports. Il a fallu 30 ans aux Québécois pour rembourser cette dette – d’où la volonté des organisateurs et des autorités de rassurer l’opinion publique des futures villes candidates.

Deux budgets distincts et une importante contribution privée

Alors qu’en est-il de Paris 2024 ? Sur le budget de 8,8 milliards d’euros des Jeux olympiques, la moitié (4,4 milliards) correspond à l’organisation elle-même, gérée par le Comité d’organisation des Jeux olympiques et paralympiques (Cojop). La quasi-totalité de cette enveloppe (96 %) est financée par des fonds privés, rappelait son président, Tony Estanguet, en février. Cet argent provient de la billetterie (1,4 milliard), d’une dotation du CIO (1,2 milliard) et de contrats conclus avec des sponsors (1,2 milliard), détaille le site des Jeux. Les 4% avancés par l’Etat (environ 175 millions d’euros) concernent spécifiquement les Jeux Paralympiques.

L’autre moitié (4,4 milliards) du budget global est consacrée aux dépenses d’infrastructures et d’investissement de la Société de livraison des travaux olympiques (Solideo), chargée notamment de la construction du Centre aquatique olympique et du village olympique. «C’est durable. Nous ne le faisons pas seulement pour les Jeux, revendique Tony Estanguet, rappelant que le village, notamment, est destiné à être transformé en bureaux et habitations. Là encore, une partie du financement provient de fonds privés, mais le public en prend une bien plus grande part : « Il y en a 2.1 milliards qui sont financés par des promoteurs privés, et 2,3 milliards milliards d’euros des pouvoirs publics, dont 1,2 milliards de l’Etat »» a détaillé la ministre des Jeux, Amélie Oudéa-Castéra fin mars, en réponse à l’émission « Complément d’enquête ».

Mais selon Jean-Pascal Gayant, économiste du sport et directeur de l’IUT de Saint-Malo, « On a tendance à écarter certaines dépenses, comme celles de la Solideo, en laissant entendre qu’elles ne sont pas directement liées à l’organisation des compétitions. Or, il existe clairement un coût supporté par le contribuable, lié à la tenue même des JO. . C’est un peu trompeur de dire que les Jeux financent les Jeux. »estime le docteur en économie.

Parmi les dépenses bien réelles, mais non comptabilisées dans le budget officiel des Jeux, figurent notamment les frais engagés pour la sécurité publique, qui ne se limitent pas aux agents de sécurité embauchés par l’organisation. Au prix du système lui-même s’est ajouté celui de la prime de 1.900 euros promise aux policiers mobilisés par le ministère de l’Intérieur, puis le coût de celles, inférieures, qui doivent être versées aux agents de la fonction publique. « qui sera sur le terrain »selon le ministre de la Fonction publique, Stanislas Guerini.

Le dérapage budgétaire, une discipline olympique

Fin 2022, en raison de l’inflation, le Cojop a augmenté son budget de 10 %, recevant notamment un argent public supplémentaire de 111 millions d’euros pour l’organisation des Jeux Paralympiques. Dans un rapport (Fichier PDF) de juillet 2023, la Cour des comptes estimait que les deux tiers de cette augmentation provenaient de la « sous-estimation évidente du budget des candidatures et méconnaissance de la complexité du cahier des charges du CIO ».

« L’inflation a été importante, il faut le reconnaître. Mais cela ne suffit pas à lui seul à expliquer l’augmentation des coûts, qui approcheront tout de même les dix milliards.»acquiesce l’économiste Jean-Pascal Gayant. « Le CIO exige beaucoup de choses dans son cahier des charges, et ne se soucie pas des conséquences que cela aura sur les coûts pour les contribuables des pays hôtes. » Ne pas tenir son budget initial est une tradition olympique : en 2020, une étude de chercheurs de l’université d’Oxford observait un dépassement moyen de +172% depuis 1960. La facture des Jeux de Pékin en 2008 avait été multipliée par douze, celle de Londres en 2012. par trois… Les Jeux olympiques d’Athènes en 2004 ont même alourdi la dette nationale grecque.

Si le dérapage financier des Jeux de Paris atteint 30%, comme l’estime Wladimir Andreff, « Ce serait à la fois une bonne et une mauvaise nouvelle. »juge l’économiste. « Ce serait le deuxième dépassement le plus faible de tous les Jeux, après ceux de Los Angeles en 1984. Nous ferions aussi bien qu’Atlanta en 1996, qui est numéro deux. La mauvaise nouvelle est que si nous dépassons les coûts, il y aura un déficit », note-t-il. Et dans ce cas, c’est l’Etat qui va intervenir, car il a donné sa garantie à hauteur de 3 milliards d’euros. « Pour l’instant, il n’y a aucune raison de penser qu’il y aura un déficit »a assuré Amélie Oudéa-Castera au « Complément d’enquête ».

Des avantages économiques à qualifier

A moins de 100 jours du début des JO, les pronostics vont bon train. « Ces Jeux devraient coûter entre 3 et 4,5 milliards d’euros (argent public), nous verrons », a répondu le président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici, sur France Inter, fin mars. Le cabinet Asterès a estimé les dépenses publiques à 5,2 milliards d’euros dans une étude d’impact publiée en février. « Il n’y a aucune raison pour que cela atteigne 5 milliards »a répondu Amélie Oudéa-Castéra dans « Complément d’enquête », tout en reconnaissant la difficulté de faire le point avant les Jeux : « Aujourd’hui, nous ne sommes pas en mesure de fixer un coût à l’euro près. »

D’autant qu’il faudrait relativiser l’argent dépensé avec ce que les Jeux peuvent apporter à l’économie française, une tâche encore plus complexe. Dans son dossier de candidature, l’organisation Paris 2024 promettait des retombées économiques de 10,7 milliards d’euros. Un montant tiré d’une étude d’impact économique commandée par l’organisation à Wladimir Andreff et son équipe, et réalisée en 2016, prenant en compte les revenus potentiels liés au tourisme ou les retombées des projets des Jeux pour le secteur de la construction.

Mais le chiffre avancé par le Comité d’Organisation relève du scénario le plus optimiste parmi les trois présentés. L’économiste, interrogé par « Complément d’enquête », aurait préféré « communiquons sur trois chiffres »et juge que les deux scénarios les moins favorables sont aujourd’hui plus réalistes : « Nous serons probablement entre 8 et 5,1 » milliards de dollars de bénéfices économiques. S’adressant à franceinfo, il relativise tous ces montants, rappelant qu’ils représentent entre 0,2 et 0,4% du PIB annuel de la France : « Ce sont des cacahuètes ! »

Un héritage à long terme difficile à évaluer

Si les études d’impact précédant les JO sont nombreuses, car rendues obligatoires par le CIO, les évaluations post-olympiques sont plus rares. Depuis 2003, le CIO demande aux pays organisateurs d’évaluer l’héritage laissé par les Jeux, rappelle Wladimir Andreff. Une étude de France Stratégies, organisme d’expertise et d’analyse prospective qui conseille l’exécutif sur ses politiques publiques, doit être publiée en 2025. Au-delà de l’aspect financier, elle doit prendre en compte les conséquences sociales et environnementales des jeux.

Mais tout ne peut pas être mesuré et comparé. « La dette à rembourser est un héritage négatif. Mais si on dépollue la Seine pour pouvoir s’y baigner, si on augmente le nombre d’espaces verts, si on fait en sorte que les sites olympiques soient à moins de 30 minutes en transports où que l’on soit. L’Ile-de-France, c’est un héritage positif », rappelle Wladimir Andreff. Pour connaître le véritable coût des Jeux, et mesurer leur héritage matériel et immatériel, il faudra attendre 20 à 30 ans, selon l’économiste.

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