les irréductibles résistent sous le feu du Hezbollah
Tous ses sens sont en alerte. Yoni Yaakobi n’aime pas rester trop longtemps au même endroit. Le Liban domine son mochav (communauté agricole), Margaliot, coincée à la frontière. Depuis le 7 octobre, cet agriculteur a troqué sa salopette contre un uniforme militaire pour assurer la sécurité du village. Bruit suspect. Yoni lève son visage usé vers le ciel, arrêtant net sa cueillette de nectarines. « Porter cet uniforme est un risque, explique l’agriculteur. Le Hezbollah me connaît. Ils savent à quoi ressemble ma voiture. L’armée m’a prévenu, je suis une cible. Mais je resterai jusqu’à ma mort. » Il est le seul, avec une dizaine d’autres volontaires, à être resté malgré l’ordre d’évacuation qui concerne toutes les communautés situées jusqu’à 5 km de la frontière. Sa montre connectée vibre. Alerte à la roquette, dans une autre zone du nord. « C’est 7 ou 8 par jour en ce moment. Ça devient pire »note le réserviste.
Le Hezbollah et Israël dans une impasse
Début juin, les débris d’une salve de projectiles ont provoqué de vastes incendies dans une nature desséchée par la chaleur intense du début de l’été levantin. A Margaliot, les réservistes de l’unité d’intervention ont combattu seuls avec leurs jets d’eau contre les flammes. « Les pompiers ne voulaient pas venir. La zone est trop exposée aux tirs du Hezbollah.explique Yoni, ajoutant en haussant les épaules : « Cela faisait bien longtemps que le Nord n’était plus la priorité du gouvernement. » Près de 1 000 hectares de forêts sont partis en fumée en deux jours.
Comme à chaque escalade, les images du Nord en feu ont une fois de plus braqué les projecteurs sur l’impasse dans laquelle se trouve la situation entre le Hezbollah et Israël. Depuis le 7 octobre, le Parti de Dieu libanais prétend, en détournant les capacités militaires d’Israël, former un « front de solidarité » avec le Hamas à Gaza. En échange, l’État juif frappe les bases des milices chiites. Empêtrés dans une guerre d’usure et de position, qui a provoqué l’évacuation de 60 000 personnes en Israël et de près de 100 000 au sud-Liban depuis le 7 octobre, les belligérants avancent sur une ligne de crête qui s’amincit à mesure que les tensions montent.
Plus réguliers, plus profonds, plus ciblés… Depuis mai, les milices chiites multiplient les tirs. « Le Hezbollah s’adapte, il change sa façon de nous cibler en utilisant des drones, plus difficiles à neutraliser, et des missiles antichar guidés, plus précis », estime Ariel Frish, adjoint à la sécurité de Kiryat Shmona, la plus grande ville du nord d’Israël, où vivent encore 2 000 de ses 24 000 habitants. Il affirme que la ville a subi près de 570 tirs depuis le 7 octobre.
Des citoyens qui se sentent abandonnés
Barbe bouclée, kippa sur la tête et M-16 en bandoulière, Ariel Frish montre du doigt un trou laissé dans la route d’un quartier résidentiel où les fenêtres des immeubles ont été soufflées par l’explosion d’un missile Falaq-1 transportant 40 kg d’explosifs. « Il s’agit d’un type de missile très sophistiqué que le Hezbollah a commencé à tirer fin novembre., s’inquiète celui qui est habituellement rabbin et directeur d’école. Il souligne que ce type de projectile ne peut pas être arrêté par le Dôme de Fer. « Chaque jour où le nord est évacué est une victoire pour le Hezbollahs’agace Ariel Frish, qui ne croit plus aux accords diplomatiques. Il est temps de passer de la réaction à l’initiative : il faut éliminer la menace qu’ils représentent. A tout moment ils peuvent nous envahir. Pour gagner la guerre, il faut d’abord la combattre. »
Le 5 juin, deux tirs de drones ont fait un mort et dix blessés à Hurfeish, un village druze qui n’avait pas été évacué. Officiellement, le Hezbollah affirme que ces attaques sont une réponse aux récentes frappes israéliennes plus intenses contre le Liban. Le chef adjoint du Hezbollah, Cheikh Naim Qassem, a déclaré à Al-Jazeera que la décision du groupe n’était pas « pour élargir la guerre »L’Iran ne veut pas d’une confrontation ouverte avec Israël.
Cependant, l’escalade montre le contraire. Israël a répondu mardi 11 juin en tuant Taleb Abdallah, l’un des plus hauts commandants du Hamas. Le Hezbollah a répondu mardi 12 juin par une salve de 170 roquettes, dont certaines ont atteint la ville de Tibériade, à 50 km au sud de la frontière. Un premier.
Une impatience collective se propage au Nord. « Le gouvernement nous a abandonnés », peste Efrat Schechter, résident du kibboutz Sde Nehemia. Situé à 6 km de la frontière, ce petit écrin de verdure de 1 200 âmes n’a pas été évacué : « Nous sommes désormais les premiers sur la liste. Cependant, le gouvernement ne fait rien pour assurer notre sécurité. » Cette mère de trois enfants raconte un quotidien bouleversé : « Il faut conduire trente minutes pour accéder aux premiers services publics : la poste, les médecins… Les enfants ne sont au lycée que quatre heures par jour, faute d’enseignants, et ils enseignent dans des refuges. À quoi ressemblera la rentrée scolaire ? Nous nous inquiétons de l’éducation de nos jeunes. De nombreuses familles risquent de partir et de ne jamais revenir. »soupire cet activiste du Lobby 1701, un groupe de citoyens israéliens qui font campagne pour que le gouvernement garantisse le retour en toute sécurité des communautés frontalières, et dénonce le manque d’attention porté à leur situation.
Escalade verbale
Si les capacités militaires du Hezbollah sont bien supérieures à celles du Hamas, cela n’empêche pas l’État juif acculé de s’engager dans une escalade verbale. « Nous sommes prêts pour une opération très intense. D’une manière ou d’une autre, nous rétablirons la sécurité dans le Nord. »a déclaré Benjamin Netanyahu le 5 juin. Deux jours avant lui, c’était le chef de l’armée israélienne, Herzl Halevi, qui disait : « Nous approchons du moment où il faudra prendre une décision. FDI (l’armée israélienne, NDLR) est prêt à passer à l’offensive. » En mai, le ministre de la Défense Yoav Gallant a prévenu que l’été serait » chaud « . La France et les États-Unis tentent depuis des mois de parvenir à une solution diplomatique, mais pour qu’elle soit finalisée, elle nécessite d’abord un accord de cessez-le-feu à Gaza, encore à venir. Même si cette perspective s’éloigne, celle d’un affrontement à plus grande échelle semble inévitable, du moins pour les habitants du Nord.
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De la frontière de 1923 à la « ligne bleue »
1923. Entre le Liban actuel et ce qui allait devenir Israël, une première frontière a été tracée par la France et le Royaume-Uni, les deux puissances mandataires dans la région après la Première Guerre mondiale.
1948. Lors de la création de l’État d’Israël, cette frontière a été conservée.
2000. Après dix-huit ans d’occupation, l’État juif s’est retiré du sud du Liban (1978-2000), l’ONU a rétabli la frontière, appelée « ligne bleue ». La Force intérimaire des Nations Unies au Liban (FINUL) est chargée de maintenir la sécurité dans cette zone frontalière.