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« Les inégalités fiscales alimentent la méfiance envers les institutions »

Gabriel Zucman, directeur de l'Observatoire européen de la fiscalité, lors d'une conférence de presse à la Commission européenne, à Bruxelles, le 1er juin 2021.

Les ultra-riches échappent largement à l’impôt partout dans le monde, et cette injustice fiscale alimente la méfiance à l’égard des institutions, explique Gabriel Zucman, directeur de l’Observatoire européen de la fiscalité. Dans un rapport commandé par le Brésil, qui préside cette année le G20, l’économiste prône l’instauration d’un impôt mondial sur leur fortune, qui pourrait rapporter 250 milliards de dollars (233 milliards d’euros) par an aux États.

Votre rapport souligne que les 3 000 milliardaires du monde évitent en grande partie de payer des impôts. Comment est-ce arrivé?

Il s’agit d’abord d’une faillite de l’impôt sur le revenu, normalement pierre angulaire de la progressivité fiscale. Pour les personnes disposant d’un patrimoine élevé, il est facile de structurer leur patrimoine de manière à ce qu’il génère peu de revenus imposables. L’ampleur du phénomène a longtemps été ignorée, mais plusieurs études récentes ont permis de le quantifier : l’évasion fiscale des plus riches est massive et systématique.

Aujourd’hui, le seul impôt qui frappe réellement les milliardaires est l’impôt sur les sociétés, qu’ils paient par l’intermédiaire des sociétés qu’ils possèdent. Mais le taux de cet impôt a considérablement baissé au cours des dernières décennies, en raison du nivellement par le bas entre les États et de la délocalisation des bénéfices vers les paradis fiscaux.

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Résultat : tous impôts confondus, les prélèvements obligatoires payés par les milliardaires se sont effondrés. Le cas des États-Unis est frappant. Dans les années 1950, les milliardaires américains payaient plus de 50 % de leurs revenus en impôts. Aujourd’hui, leur taux est d’environ 20 %.

Quelles ont été les conséquences ?

Ces changements fiscaux ont contribué à l’explosion de la richesse des milliardaires. En 1987, elle représentait l’équivalent de 3 % du produit intérieur brut mondial. Aujourd’hui, elle atteint 14 %. Cependant, près de la moitié de cette croissance est le résultat de leur moindre imposition, qui leur a permis d’accumuler davantage de richesses, par effet boule de neige. La richesse des milliardaires a augmenté de 7,1 % par an depuis 1987 (après déduction de l’inflation), alors que la richesse par adulte n’a augmenté que de 3 % par an en moyenne dans le monde.

Cet enrichissement des milliardaires a-t-il profité au reste de l’économie, via l’effet dit de « ruissellement » ?

Prenons l’exemple des États-Unis, qui ont fait la tentative la plus approfondie pour tester cette théorie des retombées. En 1980, lorsque Ronald Reagan a remporté l’élection présidentielle, le taux marginal d’imposition sur le revenu était de 70 %, le plus élevé du monde industrialisé. En 1986, ce taux était tombé à 28 pour cent, le taux le plus bas du monde industrialisé.

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Ray Richard

Head of technical department in some websites, I have been in the field of electronic journalism for 12 years and I am interested in travel, trips and discovering the world of technology.
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