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« Les « groupes de besoins » ou la mort annoncée du métier d’enseignant »

FIGAROVOX/TRIBUNE – Les groupes de niveaux au collège, devenus des « groupes de besoins », sonneront le glas des classes hétérogènes de mathématiques et de français, analyse l’enseignante Ophélie Roque. Mais c’est cette hétérogénéité qui a permis à l’enseignant de tenter d’augmenter les acquis des élèves, explique-t-elle.

Ophélie Roque est professeur de français en banlieue parisienne. Elle a publié Mesa noire (Robert Laffont, 2023), son premier roman.


Une confusion incompréhensible est l’introduction de groupes de niveaux, désormais « besoins », en mathématiques et en français pour les classes de sixième et cinquième à partir de la rentrée 2024. Pour de nombreux parents, cette innovation, par ailleurs souhaitée, approuvée et ratifiée par le Premier ministre Gabriel Attal, est perçue comme une chose a priori positive. Quel parent rechignerait à l’idée que son enfant soit mieux pris en charge ?

Mais entre la promesse et l’exécution, il y a parfois un écart. Et plus encore qu’un fossé, un abîme. Abyssal, l’abîme ! Car pour ceux qui veulent les voir, les désagréments attendent en cascade. La rentrée 2024 est décidément préoccupante sur de nombreux points. Car au-delà d’une simple réforme structurelle, c’est la substance même du métier d’enseignant qui est diminuée. Et de nombreux collègues ont le sentiment qu’une fois de plus, nous expérimentons sur leur dos.

Cette réforme basée sur la notion – plus que vague – de « choc des savoirs » – va remettre en question à la fois le quotidien des étudiants et de leurs professeurs ainsi que l’organisation interne du collège. Les chefs d’établissement ont du pain sur la planche. Qu’on se le dise, il n’y aura pas une réforme mais autant de réformes qu’il y a d’établissements tant les modalités d’application restent confuses.

Prenons l’exemple d’une classe témoin composée d’une trentaine d’élèves que nous répartirons en trois groupes modestement appelés A, B et C pour ne pas heurter la sensibilité des adolescents. Les professeurs de mathématiques et de lettres les départageront en début d’année et, en fonction des résultats obtenus, les élèves monteront ou descendront d’un groupe à l’autre. La promesse initiale était que les enfants « les plus faibles » bénéficieraient d’un effectif réduit. Pourtant, les inspecteurs s’accordent lors de réunions académiques pour dire que la chose reste un « idéal théorique » soumis aux « dures contingences de la réalité ». C’est peu dire que la parole donnée n’a guère duré longtemps.

L’éducation gratuite est morte, vive la connaissance segmentée, fragmentée, émiettée ! La structure s’effondre : on n’enseigne plus une matière conçue comme un tout organique mais des compétences dispersées ici et là.

Ophélie Roque

Parler de groupes de besoins implique de disposer de pièces supplémentaires. C’est loin d’être anodin ; nos immeubles connaissent déjà des taux d’occupation de pointe. Où trouver de nouvelles chambres alors qu’elles sont toutes déjà occupées ? Faut-il avoir la classe dans la cour et espérer que la pluie se fasse rare l’année prochaine ?

Sans compter que la réforme nécessite du personnel supplémentaire (appelé « blocs de ressources provisoires » dans le jargon administratif). C’est joli comme synthèse technique… Les « blocs de moyens provisoires » pourraient donc être choisis par des stagiaires, des contractuels ou des remplacements de plus ou moins longue durée.

Quant aux horaires, ils seront aussi troués que le mur d’un peloton d’exécution. Les groupes de besoins nécessitent un système de cours parallèles afin de pouvoir modifier la composition des groupes au cours de l’année. Autrement dit, tous les élèves de sixième et cinquième auront des cours de mathématiques et de français en même temps. Seule cette organisation en « barrettes » — d’une souplesse très soviétique — permettrait de respecter le système de perméabilité des groupes. En effet, il ne s’agirait pas d’un élève « médiocre + » stagnant sans avoir eu l’occasion de s’améliorer. Par ailleurs, quels seront les critères qui dicteront qu’un élève devra s’élever quand un autre devra s’abaisser ? Aucune notice ! Chaque établissement doit créer sa propre grille de lecture. Rassurez-vous cependant, il n’y a aucune raison pour que les transferts soient nombreux puisque cette promesse de réussite sociale n’est que de la « poudre à gadgets » jetée aux yeux des parents.

Ce collège « nouvelle génération » signe donc la fin des classes hétérogènes pour les mathématiques et le français. Or, c’est justement cette notion d’hétérogénéité qui a permis à l’enseignant de tenter d’augmenter les acquis des élèves les plus fragiles en s’appuyant sur la locomotive constituée par le peloton des « meilleurs ».

La profession enseignante s’éloigne chaque jour davantage de l’idéal d’une profession intellectuelle qui exercerait sagement sa liberté pédagogique. L’enseignant n’est plus seulement un promoteur de programmes. Un triste constat qui n’a pas pour vocation de susciter de nouvelles vocations.

Comment pouvons-nous être enthousiastes et innovants alors que le choix des livres étudiés en classe nous est désormais refusé et que les ouvrages doivent être choisis conjointement avec tous les collègues ? A force de tirer hua et dia, les enseignants n’arriveront qu’au triste compromis d’opter par défaut pour le travail le plus consensuel. Le plaisir d’enseigner vient pourtant d’une relation intime avec les œuvres étudiées. Quel énorme gâchis ! Qui peut sérieusement croire que nous obtiendrons plus d’efficacité en fermant les robinets de la liberté éducative ?

Et que penser de cette standardisation forcée des savoirs ? D’autant que la démarche risque, une fois de plus, de passer par des plateformes éducatives privées qui, en échange de financements, proposeront aux établissements des cycles pré-digérés. Partout où il y a des champs de bataille, les fossoyeurs se déplacent.

L’éducation gratuite est morte, vive la connaissance segmentée, fragmentée, émiettée ! La structure s’effondre : on n’enseigne plus une matière conçue comme un tout organique mais des compétences dispersées ici et là. La vision d’ensemble s’effondre et on s’oriente vers une mécanisation de la pensée. Chaplin jongle avec les concepts plutôt que les boulons ! L’usine a tué l’artisanat, le savoir sera enterré par le savoir-faire.

De plus, cette réforme creusera les écarts entre l’enseignement privé et public. À l’heure où le gouvernement prétend vouloir aplanir les divergences, cela résonne comme la petite mélodie de la contradiction. Si le public se retrouvera dans l’obligation stricte d’appliquer une réforme mal calibrée, le secteur privé aura (peut-être) la chance d’y échapper grâce à des ajustements. Suite à un financement de l’Etat qui ne suit pas, de nombreux établissements privés se verront dans l’impossibilité d’appliquer le système des horaires en bandes. Le rectorat autoriserait donc certaines dérogations plus ou moins proches du texte original.

Et dire que pour une réforme simple et efficace, il suffisait de créer des classes de 20 élèves. Pas du 22, du 23 ou du 25 qui finissent par se transformer en 30, 31 ou 32. Bien sûr ça coûte mais au final que des économies et du calme retrouvé.

Et les étudiants dans tout ça ? Ils sont comme nous, ils le feront et c’est tout !

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Cammile Bussière

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