Les fortes hausses du « salaire minimum » en Espagne et en Allemagne ont-elles pénalisé l’emploi ?
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Les fortes hausses du « salaire minimum » en Espagne et en Allemagne ont-elles pénalisé l’emploi ?

Les fortes hausses du « salaire minimum » en Espagne et en Allemagne ont-elles pénalisé l’emploi ?

Les gouvernements allemand et espagnol ont tous deux augmenté leurs salaires minimums respectifs de manière significative ces dernières années. Mais dans les deux pays, l’écart avec le salaire médian reste bien inférieur à ce qui est actuellement observé en France.

Une baisse des salaires autour du SMIC, une perte de compétitivité et des pertes d’emplois voire un creusement des déficits si l’Etat aide les entreprises en difficulté. L’augmentation de 14,4% du SMIC souhaitée par le PFN fait l’objet de nombreuses critiques de la part des économistes et des entrepreneurs.

Pourtant, dans certains de nos pays voisins, le salaire minimum a augmenté de manière significative ces dernières années. C’est le cas en Espagne, où l’augmentation cumulée sur six ans atteint 54 %, ou en Allemagne, où le salaire minimum a augmenté de 26 % depuis le 1er octobre 2022. Ces mesures ont-elles été néfastes pour les économies des deux pays ?

Un succès en Espagne

Prenons d’abord l’Espagne. Le salaire minimum est passé de 750 euros net par mois en 2018 à 1 200 euros en 2024. Les organisations patronales et la Banque d’Espagne craignaient une perte de compétitivité et une hausse du chômage dans un pays où le taux est déjà, de loin, le plus élevé d’Europe. Six ans après le début de ces hausses massives, le bilan est pourtant plutôt positif.

« Cela a été l’un des plus grands succès du gouvernement et aucune des prédictions alarmistes ne s’est réalisée », observe Guillem Lopez Casasnovas, professeur d’économie à l’université Pompeu Fabra de Barcelone, cité dans Ouest France.

Même si le bilan positif est à nuancer puisque le taux de chômage a néanmoins bondi en un an de 0,5 point à 12,3% de la population active, force est de reconnaître que sur cinq ans, la part des demandeurs d’emploi au sein de la population active a néanmoins baissé (plus de 14% en 2019).

L’augmentation du salaire minimum a permis de soutenir un niveau de consommation élevé, et ce dans un contexte favorable. La période Covid a été déflationniste, donc le choc des prix a été limité. Et la période post-Covid s’est traduite par une augmentation significative de la consommation, les Espagnols dépensant massivement ce qu’ils avaient économisé pendant les confinements.

« Le contexte était particulièrement favorable et la mesure a contribué à freiner l’inflation », reconnaît l’économiste espagnol, plutôt de gauche. « Une mesure similaire appliquée dans une situation différente pourrait ne pas fonctionner ».

Le salaire minimum espagnol était très bas au départ

Les conséquences d’une forte augmentation du salaire minimum peuvent en effet être très différentes d’une situation à l’autre. De nombreux paramètres entrent en jeu, comme le coût global du travail (charges comprises), la fiscalité des entreprises et, surtout, l’échelle des salaires et le niveau de qualification sur le marché du travail.

En Espagne, le salaire minimum est parti de très bas (750 euros par mois) avant d’augmenter fortement. Pourtant, selon l’OCDE, son montant ne représente que 49,5% du salaire médian du pays, contre 61% aujourd’hui en France.

« Ce qu’il faut regarder, ce n’est pas l’évolution du Smic mais le prix normal du salaire des ouvriers non qualifiés, estime Jacques Delpla, économiste, ancien conseiller de Nicolas Sarkozy lorsque ce dernier était à Bercy et président fondateur de Klimatek. Pour cela, il faut mesurer le Smic par rapport au salaire médian. L’économiste et ancienne numéro 2 du FMI Gita Gopinath estimait qu’au-delà de 50% c’était mauvais pour l’emploi. En France on est déjà nettement au-dessus et avec une augmentation de 14%, on irait à plus de 68%, ce qui est vraiment beaucoup. »

Un coût du travail qui reste attractif

Par ailleurs, le niveau du salaire minimum est loin d’être le seul indicateur de compétitivité. Le coût du travail en Espagne reste l’un des plus bas de l’Union européenne.

Selon les données de Rexecode et d’Eurostat, le coût d’une heure travaillée dans le secteur commercial est de 24,40 euros en moyenne en Espagne contre 29,70 euros en Italie, 36,30 euros dans la zone euro, 43,20 euros en Allemagne et 43,30 euros en France. Ainsi, si la France attire le plus grand nombre d’investissements étrangers en Europe, c’est en Espagne que les investisseurs créent en moyenne le plus d’emplois.

En Allemagne, les inégalités salariales ont été réduites

Prenons l’exemple de l’Allemagne. Le pays n’a instauré un salaire minimum qu’en 2015 et, depuis, celui-ci a augmenté de manière significative en raison de l’inflation. Quel est le résultat ? L’institut Destatis (l’INSEE allemand) a constaté que les augmentations récentes ont contribué à réduire les inégalités salariales.

En avril 2022, les 10 % des salaires les plus élevés étaient 3,28 fois plus élevés que les plus bas. Ce ratio est tombé à 2,98 un an plus tard après des augmentations significatives du salaire minimum. Ces augmentations du salaire minimum ont ainsi permis à 1,1 million de salariés allemands de sortir du plancher des bas salaires allemands en un an, selon les calculs de Destatis, qui représente moins de 13,04 euros bruts par heure.

L’emploi a-t-il souffert ? Difficile à dire, mais en tout cas, il n’en a pas profité. Depuis qu’il a atteint un point bas début 2022, le chômage est en hausse en Allemagne et se situe désormais à près de 6 % de la population active selon l’Agence fédérale pour l’emploi (contre 5 % en avril 2022).

Un écart de 53% avec le salaire médian

Malgré cela, le taux d’emploi dans le pays reste élevé et les mauvais chiffres du chômage des deux dernières années sont principalement la conséquence du ralentissement économique consécutif à la crise énergétique.

Mais là encore, il convient de mesurer ce que représente ce « SMIC » allemand par rapport au salaire médian. Au niveau actuel de 12,41 euros bruts de l’heure, ce salaire minimum représente 53 % du salaire médian. Le syndicat Ver.di et le parti d’extrême gauche Die Linke réclament une augmentation assez importante pour atteindre 60 % d’ici 2025, ce que refuse le gouvernement. Or, en France, pour rappel, il est déjà à 61 % et passerait à plus de 68 % avec une augmentation du SMIC à 1 600 euros.

On pourrait alors estimer que si le salaire minimum est si « élevé » par rapport au salaire médian en France, c’est que le niveau des salaires y est globalement trop bas et qu’un nouveau partage de la valeur en faveur des salariés serait nécessaire. Or, des données comparables montrent que c’est déjà en France que le partage de la valeur se fait en Europe le plus au bénéfice des salariés.

« Le vrai problème en France, c’est que nous avons un salaire minimum élevé »

Selon Eurostat, la part des rémunérations totales en France représente 65% de la valeur ajoutée brute contre 63% en Allemagne, 61% en Espagne et 59% en moyenne en Europe.

« Le vrai problème en France, c’est qu’on a un salaire minimum élevé et qu’on subventionne le travail non qualifié avec des exonérations de charges, résume Jacques Delpla. Le coût de ces exonérations sur les bas salaires, c’est 3 % du PIB, soit 80 milliards d’euros. C’est plus de trois fois le budget de l’université et de la recherche, qui est de 25 milliards. Ce qui est totalement absurde puisque notre coût du travail non qualifié ne sera jamais au niveau de celui de la Bulgarie. Pour augmenter le pouvoir d’achat, il faut améliorer la productivité et investir dans les compétences et surtout ne pas financer des choses qui n’ont pas d’avenir. »

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