Chêne mature, âgé de 150 ans, en bonne santé, de 70 cm de diamètre et toujours en croissance : « ça fait au moins quatre tonnes de CO2 ». Au lieu de l’abattre, le propriétaire forestier s’engagera à la préserver, en échange de crédits carbone.
« On peut le prendre jusqu’à 90 cm » et augmenter le stock de CO2 absorbé par l’arbre au lieu d’en libérer une partie en l’abattant, explique Philippe Gourmain, co-fondateur de La Belle Forêt, qui propose aux entreprises des crédits carbone certifiés issus des forêts françaises.
Sur les 4 280 hectares de forêt qui entourent le célèbre château de Chambord — l’équivalent de la moitié de Paris — 811 sont « récoltable » et en bonne santé.
Face à la dégradation de sa forêt, fragilisée par le changement climatique, ce domaine national classé devait trouver « ressources innovantes » pour financer son adaptation. Il a décidé de devenir » un laboratoire « pour une nouvelle méthodologie, affirme son directeur général Pierre Dubreuil.
Selon le plan La Belle Forêt, 90 % des 811 hectares éligibles ne seront pas abattus dans les trente prochaines années et le CO2 ainsi préservé générera quelque 54 000 crédits carbone sur 15 ans, équivalent chacun à une tonne de carbone stockée par le bois. .
EDF a acheté un premier lot de 18 000 crédits, pour 1,8 million d’euros, pour compenser les émissions liées à la construction et à l’exploitation d’une centrale nucléaire voisine.
Cet argent financera la plantation d’espèces plus résistantes au changement climatique et la protection de la biodiversité à Chambord.
– Défier les critiques –
Les crédits carbone sont des outils financiers controversés : de nombreuses études ont montré leur inefficacité pour prévenir la déforestation des forêts tropicales, en raison de méthodologies trop laxistes.
Mais pour tenter d’enrayer l’érosion des capacités de séquestration de CO2 des forêts françaises, certaines start-up comptent sur les revenus des crédits carbone pour inciter les propriétaires privés (75 % de la superficie) et publics (25 %) à adopter la gestion forestière. « orienté carbone »avec des méthodologies plus exigeantes adaptées aux spécificités locales.
L’avantage des forêts françaises de plus de 20 hectares est qu’elles disposent d’un plan détaillant les coupes prévues sur plusieurs années. Il est donc plus facile de mesurer le surplus de CO2 stocké si ces réductions sont évitées, contrairement à l’Amazonie, difficilement régulable.
A l’aide de marqueurs répartis dans toute la forêt autour desquels est mesurée la taille des différents arbres, La Belle Forêt estime le volume moyen de carbone stocké. Un vérificateur indépendant, Ecocert, passe ces mesures au peigne fin.
La start-up utilise alors des hypothèses conservatrices sur les risques comme la sécheresse ou les incendies, mais aussi le dépérissement des arbres, explique Sabine Barets, ingénieur et directrice R&D. Le nombre de crédits générés est réduit proportionnellement à ces risques.
Enfin, l’entreprise place un pourcentage des crédits restants sur un compte fonctionnant comme un fonds commun de placement, qui peut compenser un éventuel incendie dans l’une des forêts.
– « Précurseurs » –
Le prix du crédit est alors majoré en fonction du « note sur la biodiversité » du propriétaire forestier, la notoriété de la forêt et l’exclusivité du contrat : 100 euros la tonne pour Chambord, bien loin des quelques centimes payés pour les crédits « des fantômes » en Amazonie, dénoncée par les ONG.
«Ils ont été pionniers avec leur méthodologie» très » grave « qui comprend également des actions de préservation de la biodiversité (conservation des arbres morts ou refuges pour la faune, entretien des étangs, interdiction des éoliennes, etc.), précise Séverine Gaubert, responsable de l’innovation au Bureau Veritas, qui a certifié les crédits de La Belle Forêt, après faire valider sa méthode par ses experts mais aussi des ONG.
La start-up a rapidement écarté les certificateurs américains Verra et Gold Standard, aux méthodologies critiquées. Elle voulait aussi « garder le contrôle de la vente des crédits »» précise son cofondateur Matthieu de Lesseux, qui interdit à ses clients de les revendre pour spéculer, chose assez rare sur ce marché.
« Il est difficile pour un forestier d’imaginer spéculer sur des stocks de carbone supplémentaires »acquiesce Étienne Guillaumat, directeur de la chasse et de la forêt à Chambord, où il voit déjà les bénéfices de cette nouvelle gestion.
Avec 46 000 hectares sous contrat (sur 17 millions d’hectares en France métropolitaine), La Belle Forêt souhaite fédérer davantage de petits propriétaires et, à plus long terme, cibler des marchés d’Europe de l’Est.
En revanche, ceux du sud du continent « sont déjà trop menacés pour être éligibles », précise Philippe Gourmain. Et les forêts tropicales, avec leur potentiel de stockage de CO2 bien plus important, « ne correspondent pas à nos méthodes ».