Les femmes se font traiter le mauvais sein… à cause des progrès de la médecine
Dans le jargon médical, on appelle cela une « erreur de latéralité ». En réalité, ces événements très rares sont très difficile à vivre pour ceux qui en sont victimes. En faisant confiance à leur médecin, leur oncologue, leur radiothérapeute et tous les praticiens qui les entourent, ces malades n’imaginent pas une seconde qu’ils pourraient être victimes d’une erreur aussi évidente, lorsque le soignant s’est trompé du côté du corps. Et pourtant. Ces dernières années, les « erreurs de latéralité » se multiplient, prévient l’Autorité de sûreté nucléaire.
Les premières victimes sont souvent des femmes atteintes d’un cancer du sein, et qui subissent de multiples séances de radiothérapie… sur le mauvais sein. Comment de telles erreurs sont-elles possibles ? Et pourquoi l’ASN alerte-t-elle sur leur résurgence ? Selon des spécialistes contactés par 20 minutesles raisons pourraient être recherchées dans le progrès médical. Cela vous semble étrange. Pas tellement.
Notre dossier sur le cancer du sein
Début 2024, une femme a reçu 20 séances de radiothérapie du mauvais sein à l’Institut de Bourgogne du Cancer, à Dijon. Quelques semaines plus tard, un patient subissait le même traumatisme au centre de cancérologie du grand Montpellier. Fin 2023, c’est au CHRU Bretonneau de Tours qu’une erreur similaire avait été commise, provoquant 25 séances dans la mauvaise zone. Selon la profession, le risque sanitaire serait minime pour les patients, qui restent néanmoins très touchés par ces erreurs d’origine humaine.
Ces trois événements marquants en quelques mois ont alerté l’Autorité de sûreté nucléaire. « Le volume est très faible. On parle de moins de 10 événements en 2023 et 2024. Mais c’est la dégradation qui nous inquiète plus que le nombre lui-même. Il y a quatre ou cinq ans, on n’avait plus ces événements-là», assure Emilie Jambu. Interrogée sur les raisons de cette progression, la responsable de la division Nantes à l’ASN avoue qu’elle n’a pas toutes les réponses. « Nous savons qu’il y a parfois des pénuries de personnel qui conduisent à l’annulation de visites préalables. Mais ce n’est qu’une idée.
« Avant, il était impossible de se tromper »
Si le recrutement des techniciens en radiothérapie n’est pas simple, il ne serait pas à l’origine de ces erreurs, selon le Dr Erik Monpetit. « En 2023, nous avons réalisé 216 000 soins de patients en radiothérapie en France. Et nous avons trois événements qui ont fait l’objet de reportages. C’est très peu. Mais je reconnais que c’est trois de trop», explique le président du Syndicat national des radio-oncologues. Pour lui, ces erreurs sont davantage dues aux progrès spectaculaires dans le traitement du cancer du sein. « Avant, la plupart des femmes se faisaient enlever le sein ou avaient une cicatrice très visible. Il était impossible de se tromper. Mais depuis trois ou quatre ans, il est de plus en plus difficile de savoir quel sein a été opéré », explique la praticienne basée à Vannes (Morbihan).
Le « point de tatouage » qui marquait à vie les seins des femmes traitées a également disparu grâce aux progrès technologiques.
Le développement rapide des appareils de radiothérapie a également dépassé les commentaires des patients. Auparavant, les femmes pouvaient alerter le manipulateur lorsqu’elles voyaient l’appareil s’approcher de la mauvaise zone ou lorsqu’elles étaient obligées de lever le mauvais bras. «Aujourd’hui, la patiente ne voit plus quel sein on va traiter car la machine tourne autour d’elle», poursuit le Dr Monpetit. La réduction du nombre de séances a également permis de réduire les rougeurs liées aux brûlures générées par le traitement. Des progrès qui profitent au patient mais obligent les praticiens à être encore plus vigilants. « Il suffit d’une erreur sur une mammographie ou d’un rapport mal rédigé. Avant, ces erreurs étaient détectées. Mais aujourd’hui, on ne voit presque plus rien», assume le professeur Véronique Vendrely.
Un petit fil le long de la cicatrice
Élu en janvier à la tête de la Société française de radiothérapie oncologique (SFRO), le professeur Vendrely a alerté l’ensemble de sa profession, appelant à la plus grande vigilance face à ces erreurs de latéralité. Il pourrait s’inspirer des travaux menés au centre d’oncologie Saint-Yves de Vannes, où un fil discret est posé le long de la cicatrice des patients, afin de la rendre plus visible lors de leur traitement. Pour limiter les risques d’erreur, il est également conseillé d’effectuer plusieurs contrôles par des personnes différentes.
Un groupe de travail réunissant des professionnels du secteur et l’Autorité de sûreté nucléaire sera également créé pour analyser chacune des défaillances.