News JVTech Les États-Unis imaginaient que la Chine opposerait son veto à leurs exportations de terres rares. Ils ont un plan B : le fond du Pacifique
Face à la domination écrasante de la Chine sur le marché stratégique des terres rares, les États-Unis élaborent une contre-offensive audacieuse. Anticipant de possibles restrictions d’exportation chinoises, Washington envisage désormais de se tourner vers les abysses de l’océan Pacifique, un Plan B visant à garantir son approvisionnement en minéraux critiques grâce à l’exploitation minière sous-marine.
Le trésor caché dans les abysses
Dans le théâtre complexe de la rivalité économique et technologique sino-américaine, le contrôle des ressources naturelles critiques est devenu un enjeu majeur. La Chine, détenant environ 70% du marché mondial des terres rares et autres minéraux essentiels aux technologies modernes (de l’électronique aux énergies renouvelables), dispose d’un levier de pression considérable. Consciente de cette dépendance stratégique, l’administration américaine a, selon des informations rapportées par le *Financial Times*, préparé le terrain pour une alternative radicale : exploiter les richesses minérales dormant au fond de l’océan Pacifique.
Les profondeurs océaniques, en particulier certaines zones du Pacifique comme la vaste Zone Clarion-Clipperton (CCZ), recèlent des formations géologiques uniques appelées nódules polymétalliques. Ces concrétions rocheuses, semblables à des pommes de terre gisant sur le plancher océanique, sont exceptionnellement riches en métaux très convoités : nickel, cobalt, cuivre, manganèse, ainsi que des traces de diverses terres rares. Ces éléments sont absolument fondamentaux pour les industries de pointe, notamment la fabrication de batteries pour véhicules électriques, les composants d’éoliennes, l’électronique grand public et les équipements militaires. L’attrait est donc immense : ces réserves sous-marines pourraient potentiellement surpasser de nombreuses réserves terrestres combinées, offrant une perspective d’autosuffisance alléchante pour Washington.
L’anticipation américaine face au géant chinois
Sentant le vent tourner dans la guerre commerciale et technologique, les États-Unis semblent avoir anticipé un possible durcissement de Pékin concernant ses exportations de minéraux stratégiques. La réponse envisagée est double : accélérer les demandes d’autorisation pour l’exploitation minière en eaux profondes sous juridiction nationale (bien que la portée de cette juridiction en haute mer soit discutable) et créer une réserve stratégique nationale alimentée par ces futures ressources sous-marines. L’objectif affiché est clair : briser la dépendance vis-à-vis de la chaîne d’approvisionnement chinoise et sécuriser une source domestique de matériaux indispensables à l’économie et à la sécurité nationale américaines. Une ordonnance exécutive aurait même été rédigée en ce sens sous l’administration précédente, témoignant d’une réflexion stratégique déjà ancienne.
Cependant, ce « Plan B » abyssal se heurte à des obstacles juridiques et diplomatiques considérables. La régulation de l’exploitation minière dans les eaux internationales (la « Zone », au-delà des juridictions nationales) relève de l‘Autorité Internationale des Fonds Marins (AIFM ou ISA en anglais), un organisme créé sous l’égide de la Convention des Nations Unies sur le Droit de la Mer (CNUDM ou UNCLOS) de 1982. Or, les États-Unis n’ont jamais ratifié cette convention cruciale. N’étant pas partie prenante du traité qui fonde l’autorité légale de l’ISA, leur capacité à octroyer légalement des permis d’exploitation dans les eaux internationales est sérieusement remise en question.
Certaines entreprises intéressées par cette manne potentielle, comme The Metals Company, soutiennent que l’ISA ne détient pas un mandat exclusif, mais de nombreux experts juridiques internationaux mettent en garde contre une action unilatérale américaine. Agir sans l’aval de l’ISA, ou en dehors du cadre réglementaire international en cours d’élaboration (mais non finalisé), serait un pari risqué, susceptible d’entraîner une levée de boucliers de la communauté internationale et de créer un précédent potentiellement chaotique pour la gouvernance des océans.
Le Pacifique : arène stratégique et écologique
Le choix de l’océan Pacifique n’est pas anodin. Outre sa richesse géologique avérée dans la CCZ, il s’agit d’une zone où la Chine est déjà un acteur de premier plan. Pékin détient plusieurs contrats d’exploration octroyés par l’ISA dans cette même région, renforçant sa présence et son expertise dans le domaine de la prospection sous-marine. Par ailleurs, la Chine investit massivement dans la recherche abyssale, comme en témoigne la construction récente d’un laboratoire sous-marin à 2 000 mètres de profondeur en mer de Chine méridionale. Le Pacifique apparaît ainsi de plus en plus comme un nouveau front de la compétition économique, technologique et potentiellement militaire entre les deux superpuissances.
Au-delà des enjeux géopolitiques et juridiques, l’exploitation minière des grands fonds soulève de profondes inquiétudes environnementales. Les écosystèmes abyssaux, dont on estime que 80% restent encore inexplorés et non cartographiés, sont uniques, fragiles et encore très mal compris. Les scientifiques et les organisations écologistes alertent sur les risques d’impacts irréversibles : destruction d’habitats, perturbation des espèces, remise en suspension de sédiments potentiellement toxiques, pollution sonore et lumineuse. Face à ces incertitudes, de nombreux pays et la communauté scientifique plaident pour un moratoire sur l’exploitation minière en eaux profondes, au moins jusqu’à ce qu’un cadre réglementaire robuste et basé sur des connaissances scientifiques solides soit établi par l’ISA – un processus qui s’avère lent et complexe.
La volonté américaine d’accélérer vers l’exploitation des fonds marins, motivée par l’urgence stratégique de contrer la Chine, risque ainsi de court-circuiter les efforts internationaux visant à établir une gouvernance prudente de cette nouvelle frontière. Envisager le fond du Pacifique comme un « Plan B » est révélateur de l’intensité de la rivalité sino-américaine, mais cela souligne aussi les dilemmes majeurs de notre époque : comment concilier besoins en ressources, impératifs géopolitiques et protection indispensable d’un des derniers environnements largement inconnus de notre planète ? La descente vers les abysses pourrait bien ouvrir une nouvelle ère d’extraction, mais à quel prix pour l’océan profond ?