Le télétravail menacé en France ? Si les entreprises hexagonales s’inspirent du géant Amazon, les salariés habitués à travailler à domicile peuvent le craindre. L’entreprise américaine a informé, lundi 16 septembre, ses employés administratifs qu’ils devraient retourner au bureau à temps plein.
Selon Benoît Serre, vice-président délégué de l’Association nationale des directeurs des ressources humaines (ANDRH), un retour à la situation d’avant la crise du Covid-19 est peu probable en France. Mais les entreprises françaises n’hésitent pas à faire marche arrière et à limiter le télétravail. « Il s’agit de réglementer les occasions de distanciation, non pas de les interdire, mais d’empêcher qu’elles se produisent à tout moment »explique le vice-président adjoint de l’ANDRH.
franceinfo : Amazon annonce vouloir mettre fin au télétravail, cela vous surprend-il ? ?
Benoît Serre : Oui et non. Les entreprises aux États-Unis, notamment dans la tech, avaient considérablement promu le « full telework », le télétravail à temps plein, à l’époque du Covid. Certaines d’entre elles disaient même que les gens pourraient travailler où ils le souhaitaient, etc. Donc d’une certaine manière, c’est un peu un retour à l’envoyeur parce qu’on savait que ça ne marcherait pas.
En France, vous avez très peu d’entreprises qui revendiquent le télétravail à temps plein car cela a des effets assez néfastes sur le fonctionnement de l’organisation et je ne suis pas convaincu que les gens y soient autant attachés. Je ne suis donc pas très étonné de ces mouvements dans les entreprises aux États-Unis.
Après, il faut comprendre qu’Amazon est une entreprise où certains de ses salariés ont été « en télétravail total » alors que ses entrepôts, par définition, ne le sont pas. J’imagine donc qu’il n’est pas illogique qu’Amazon se soit rendu compte qu’il y avait quand même une sorte de curiosité du point de vue du management à avoir certains de ses salariés obligés d’être présents dans les plateformes de distribution et toute une autre partie qui finalement n’est jamais venue.
Les entreprises en France veulent-elles revenir au télétravail ?
En France, il n’y a pas de mouvement de retour, c’est plutôt un mouvement d’organisation. Il ne faut pas perdre de vue que la France était un pays où il y avait relativement peu de télétravailleurs avant la crise du Covid. La pandémie a fait que le télétravail est arrivé massivement et de manière assez désordonnée. On a donc plus ou moins organisé les choses rapidement, et puis elles se sont installées.
Maintenant que nous sommes sortis de cette crise et que nous avons acquis, en quelque sorte, une forme d’expérience, les défauts et les qualités du télétravail apparaissent dans les organisations. Par conséquent, les entreprises l’organisent plutôt, le structurent, et donc le rendent un peu moins « open bar », sans limites, avec des salariés qui viennent quand ils le souhaitent. C’est d’ailleurs la meilleure façon de garantir la pérennité du télétravail.
« Si on continue à maintenir le télétravail sans organisation, où chacun fait ce qu’il veut, il va disparaître. L’organisation de l’entreprise nécessite toujours que les gens se voient et se parlent. »
Benoît Serre, Vice-Président Délégué de l’ANDRHà franceinfo
Quelles limites les entreprises veulent-elles imposer au télétravail ?
Ce que les entreprises mettent souvent en place, c’est de définir certains moments dans la vie de l’entreprise qui nécessitent une présence physique. Ensuite, il y a une limitation du nombre de jours – deux jours par semaine généralement – et une mise en place de règles de validation. Autrement dit, ne plus laisser le salarié décider seul de ne pas venir un matin parce qu’il a regardé son agenda et ne voit pas la nécessité de venir. Et puis, vous avez des entreprises, par exemple, qui ont des comités de direction, des réunions de service ou des entretiens annuels qui ne peuvent pas se faire à distance. Il s’agit en quelque sorte de réguler les possibilités de distanciation, non pas de les interdire, mais d’empêcher qu’elles se produisent à tout moment.
Ces limites ne risquent-elles pas d’entrer en contradiction avec les besoins et les désirs des salariés ?
C’est toujours un peu le même problème. Je crois, et je constate, que l’aspiration profonde des gens est d’avoir des modèles un peu moins hiérarchisés et d’avoir un peu plus de liberté d’organisation dans leur travail.
Il s’avère que le télétravail est l’une des voies, mais ce n’est pas la seule. On a aussi une plus grande liberté d’organisation quand on nous fait davantage confiance, quand on est moins dans des régimes de contrôle, etc. C’est la véritable aspiration à laquelle il faut répondre, c’est certain.
« La volonté d’une plus grande liberté d’organisation passe pour l’instant par le télétravail, mais si elle doit s’imposer à long terme, elle passera sans doute par une révision du modèle de management qui, notamment en France, sont des modèles très basés sur le présentéisme. »
Benoît Serre, Vice-Président Délégué de l’ANDRHà franceinfo
Nous valorisons la présence. Cependant, lorsque nous avons étudié si le télétravail dégrade ou améliore la productivité de l’individu, nous nous sommes rendu compte qu’au final, cela ne la changeait pas tant que ça. Pour une raison simple, quelqu’un qui n’est pas très motivé ou peu actif dans son activité professionnelle lorsqu’il est au bureau ne le sera pas davantage lorsqu’il sera à distance. Quelqu’un qui est plutôt motivé et actif dans son activité professionnelle dans l’entreprise l’est tout autant à distance ou en présentiel.
Comment le management peut-il inverser le télétravail mis en place dans l’entreprise ?
Cela dépend des conditions dans lesquelles elle a mis en place le télétravail. En France, vous avez deux manières de le mettre en place. D’abord, vous pouvez passer par un accord avec les partenaires sociaux. C’est le cas dans de nombreuses entreprises. D’ailleurs, on entend beaucoup parler de télétravail en ce moment car ce sont des accords triennaux qui ont souvent été négociés en 2020-2021 et qui arrivent à leur terme.
Sinon, l’entreprise a installé le télétravail par charte, c’est-à-dire sans négociation. Dans ce cas, elle peut le modifier de la même manière, donc sans négociation. Beaucoup d’entreprises ont plutôt choisi d’avoir un dialogue social, et c’est une chance.
Le salarié peut-il refuser ces nouvelles règles de télétravail ?
C’est difficile car le télétravail est un droit depuis la fin des années 2000. Si une entreprise refuse le télétravail partiel à quelqu’un, elle doit le justifier. En revanche, si vous avez une charte ou une convention collective, les salariés sont obligés d’y souscrire et de l’appliquer, comme pour un règlement intérieur dans une entreprise.
Vous avez par exemple des entreprises qui interdisent depuis longtemps le télétravail lorsque vous êtes à l’étranger. L’employeur peut l’imposer soit par négociation, soit par charte à ses salariés. Le salarié n’a donc pas le droit de le refuser.
A l’inverse, l’entreprise ne peut pas imposer le télétravail à ses salariés – sauf accord, là encore. Certains salariés refusent le télétravail car ils ont des conditions de vie ou d’installation qui les rendent mieux lotis au bureau. Finalement, il y a eu des aménagements dans les locaux des entreprises pour mettre en place ce qu’on appelle des bureaux flexibles où il y a suffisamment de place pour accueillir tout le monde, si tous veulent venir.