LA TRIBUNE DIMANCHE – Vous vous êtes entretenu cette semaine avec Clayton, Dubilier and Rice (CD&R), le fonds en passe de racheter Opella, la filiale de Sanofi qui produit le Doliprane. Quel est le rôle de Bpifrance ? Sera-t-il finalement présent dans la capitale ?
NICOLAS DUFOURCQ – Nous instruisons le dossier depuis juillet. Nous nous engageons à partir du côté du gagnant de l’enchère, avec, comme pour tous nos investissements, une présence au conseil d’administration. Nous sommes également déjà actionnaires de Seqens (qui fabrique le principe actif du Doliprane), et très présents dans les biotechnologies, les fabricants de médicaments, les pharmacies : le secteur ne nous est pas étranger. Dans les années à venir, nous prévoyons d’allouer plus de 10 milliards d’euros à la santé.
Comprenez-vous l’engouement suscité par cette vente ?
Certes, mais les usines concernées n’ont aucune raison de fermer, le président de Sanofi l’a clairement dit. Depuis 2020, l’État a mis en œuvre une politique de développement des capacités dont la BPI est l’instrument, avec plusieurs centaines de millions d’euros de subventions et de capitaux pour une quinzaine d’acteurs. La vente d’Opella ne remet pas en cause ce mouvement.
Il n’y a donc aucun risque que le poste parte aux États-Unis ?
Bercy a mis en place des garde-fous. En France, le mouvement de réindustrialisation est lancé. Il est normal que parfois des usines ferment. Seul compte le bilan positif des ouvertures : 57 en 2023. Les opportunités de réindustrialisation sont multiples, on finance des chantiers de polymères sans plastique, de dispositifs médicaux, de batteries, de béton bas carbone, etc. La France reste très avancée dans le nucléaire l’énergie, l’aéronautique et les semi-conducteurs, où -STMicro est par exemple fournisseur d’entreprises américaines comme Tesla et SpaceX.
Mais n’y a-t-il pas une rupture entre l’Europe et les États-Unis ??
Nous sous-estimons le tsunami en provenance des États-Unis et de Chine. Si l’Europe ne change pas, elle échouera. C’est d’autant plus regrettable que la majeure partie de la science mondiale provient encore des universités européennes. Cette science doit débarquer dans l’économie européenne ! Notre capital européen doit être investi dans le risque et non dans les thèses d’un monde vieillissant. Les Américains sont lourdement endettés, mais leur dette finance l’avenir. Notre dette finance en grande partie la protection sociale et les retraites.
Les retraites, premier poste budgétaire…
Oui ! 375 milliards d’euros de dépenses publiques par an. Soit 60 milliards de plus chaque année que nos voisins, soit 2 points de PIB. Ces milliards sont ceux qui manquent pour financer la défense, la justice, la police, les salaires des infirmiers, des enseignants, des chercheurs, etc. La France a fait ce choix collectif : depuis des décennies, les jeunes retraités, même très jeunes en retraite anticipée, plutôt que bien -des services publics dotés et un déficit maîtrisé. À un moment donné, il faut payer.
Est-il donc souhaitable de décaler de six mois l’indexation des retraites ?
Le gouvernement a tout à fait raison, d’autant plus que le pouvoir d’achat des retraités a augmenté depuis deux ans. Depuis quarante ans, le ratio actifs/retraités ne cesse de se dégrader. En autorisant les départs entre trois et cinq ans plus tôt que tous les Européens, le pays fait un choix généreux. Mais cela explique en grande partie l’augmentation de notre dette de 70 à 110 % du PIB. Nos petits-enfants paieront leurs pensions, mais aussi une part de celles versées trente ans plus tôt. L’idée entendue depuis trente ans selon laquelle nous avons des droits infinis à la retraite »parce qu’on nous avait promis» ne tient pas moralement.
Michel Barnier évoque un risque pour la France sur les marchés financiers. Est-ce qu’il dramatise ?
Je dirige une banque qui n’a pas de dépôts et qui trouve donc sa liquidité sur les marchés. Non, le premier ministre ne dramatise pas. Les marchés financiers, en augmentant la prime de risque, nous envoient le message : pendant combien de temps allez-vous continuer à ajouter de la dette sur la dette en refusant de voir le problème des retraites ? Il n’y a pas d’autre solution que de travailler davantage et de demander parfois aux retraités de faire des efforts. Je suis optimiste : nos agences régionales regorgent de projets, les entrepreneurs sont là, la France active invente son avenir, mais il ne faut pas l’arrêter faute d’affronter les problèmes.
Nicolas Dufourcq, directeur de la banque publique d’investissement au siège de la BPI
le 13 octobre. (Crédits : LTD / CYRILLE GEORGE JERUSALMI)
Le débat budgétaire L‘L’Assemblée nationale impose des taxes aux entreprises, des surtaxes, etc. N’y a-t-il pas un risque de décourager l’entrepreneuriat ?
Le fardeau de l’ajustement budgétaire devra être partagé par tous, car tout le monde a bénéficié de la protection de la France pendant le Covid. Pour les entreprises, il y aura des impôts et une augmentation des coûts de main-d’œuvre. Les entrepreneurs que nous voyons à la BPI sont comme l’armée des partisans de l’économie : combatifs, courageux et patriotes. Ils sont la solution à nos problèmes, c’est l’équipe de France ! Ils feront des efforts, mais il est contre-productif de les inquiéter sur la propriété et la transmission. Avec la baisse des charges, ils sont en première ligne pour mesurer à quel point le modèle de financement de la Sécurité sociale basé sur les seuls salaires est devenu intenable. Ils ont besoin de sentir que les efforts qui leur sont demandés ne seront pas vains. Ils courent, mais si l’État providence court toujours plus vite qu’eux, nous n’y parviendrons jamais.
Le Salon de l’Auto se termine. Vous êtes membre du conseil d’administration de Stellantis. Etes-vous inquiet ?
Il faut regarder la tendance. L’électrification est en cours. Même si on a l’impression que le marché ne décolle pas, les conditions du succès se mettent en place. De nouveaux modèles de véhicules électriques seront bientôt commercialisés en masse. Ils sont magnifiques, les consommateurs seront conquis. Mais les incitations tarifaires devront être maintenues. L’idée d’une prime partout en Europe pour l’achat d’un véhicule électrique, sous réserve d’une production locale, fait son chemin. Il pourrait être financé par un emprunt européen, par exemple de 10 milliards d’euros. Cela stimulerait notre industrie et aiderait nos industriels à résister au raz-de-marée chinois.