« Les employeurs ne veulent pas arrêter le télétravail, mais reprendre la main », analyse Emmanuelle Lavignac, secrétaire nationale de l’Ugict-CGT
A l’origine de la création, en 2023, de l’Observatoire du télétravail, l’Union générale CGT des ingénieurs, cadres et techniciens (Ugict-CGT) examine, depuis la crise du Covid, la mise en place du travail à distance, générateur de bien-être. ainsi que la distance.
Les conflits autour du télétravail sont-ils nombreux ou se concentrent-ils dans le secteur des nouvelles technologies ?
Emmanuelle Lavignac
secrétaire général de l’UGICT-CGT
En effet, cela concerne avant tout les grandes entreprises de services du numérique : CGI, Capgemini… Mais aussi, comme on l’a vu récemment, Amazon et l’ensemble du secteur du jeu vidéo. Outre les enjeux liés à ce secteur, je pense qu’il existe un vrai sujet sur les postes de secrétariat ou dans les services administratifs des entreprises traditionnelles.
Ces emplois sont souvent occupés par des femmes. Les employeurs ont tendance à forcer leur retour sur site même s’il s’agit de postes télétravaillables. Mais nous devons le vérifier statistiquement. Rappelons que, selon notre enquête, le profil type d’un télétravailleur en France est une femme, âgée de trente ans, travaillant dans l’administration ou les télécommunications. Il faut d’ailleurs relativiser un peu : en France, il n’y a pas de volonté d’arrêter le télétravail, mais plutôt de le restreindre, de reprendre le contrôle.
La reprise en main des conditions de travail est-elle la principale motivation de l’employeur ?
Nous arrivons au terme des premiers accords triennaux négociés suite au Covid. Les employeurs veulent mieux encadrer le télétravail, pour reprendre la main. Quant à l’argument, souvent prétexté, de la baisse de productivité, rien ne permet de la mesurer.
Quand on regarde ces entreprises concernées – CapGemini, Ubisoft, Amazon – on remarque que ce sont des groupes qui souhaitent soit se débarrasser d’une partie de leur masse salariale, soit la renouveler. Selon notre enquête, 93 % des salariés vivent « plutôt bien » ou « très bien » le télétravail. Réduire ce droit est considéré comme un bon moyen d’augmenter les départs volontaires.
Pourquoi les salariés défendent-ils autant ce droit ?
Les salariés en télétravail se sentent plus concentrés, plus efficaces et moins fatigués. Ils permettent de gagner du temps et de la qualité de vie : plus de la moitié récupèrent plus d’une heure par jour de temps de transport ; 82% d’entre eux déclarent bénéficier d’un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle. Mais ce n’est pas un outil miracle : le télétravail permet, notamment aux femmes, de mieux organiser leur deuxième journée de travail : vie de famille, tâches ménagères, etc. Cela ne résout pas les problèmes d’organisation et de conditions de travail, et ne remplace pas une réduction des heures de travail.
Par ailleurs, si les salariés ne souhaitent pas revenir, c’est aussi parce que, entre-temps, les conditions sur site se sont dégradées : de nombreuses entreprises ont réduit leurs locaux, souvent adaptés à 60 % des effectifs, dans de grands open space bruyants… L’usage généralisé des bureaux flexibles signifie que nous n’avons plus de poste de travail dédié. Le matin, on ne sait pas dans quelles conditions on va travailler… Et cet argent gagné sur les locaux n’a jamais été redistribué.
Quelles sont vos revendications concernant le télétravail ?
Avec le télétravail, il faut être encore plus vigilant quant à l’application du droit à la déconnexion. N’oubliez pas que l’employeur est toujours responsable de la charge de travail. De manière générale, de véritables conventions collectives doivent être négociées, alors que de nombreuses entreprises se contentent de chartes unilatérales. Nous souhaiterions également voir le droit social évoluer pour l’adapter au télétravail. Par exemple, les employeurs refusent de nous donner les coordonnées des salariés distants, donc nous, les syndicats, ne pouvons pas les contacter.
Nous voulons continuer à travailler en équipe. Et pour ça, il n’y a pas de mystère, il faut organiser des rencontres physiques. Mais nous avons aussi lancé des réunions syndicales sur Zoom, des assemblées générales sur Twitch ou Teams, chez CapGemini ou Nokia par exemple. Les outils numériques peuvent devenir un véritable axe de développement du syndicalisme. Mais il faut joindre les deux bouts. Nous ne pouvons pas nous passer de contacts et de rencontres sur place.
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