Les détenteurs de la dette française, un indice révélateur
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Les détenteurs de la dette française, un indice révélateur

Les détenteurs de la dette française, un indice révélateur

La France ne communique pas sur les pays détenteurs de sa dette publique, contrairement aux États-Unis par exemple, qui publient les chiffres précis. On voit aussi que la France, via ses banques et ses institutions financières, détient 283 milliards de dollars de dette fédérale américaine, ce qui n’est pas rien. Le ministère des Finances prétend que cette information est publique, comme l’a récemment affirmé Bruno Le Maire. C’est faux. L’Agence France Trésor (AFT), branche de Bercy chargée d’émettre et de gérer la dette de l’État, ne fournit pas de chiffres. Pourtant, cette information est cruciale sur le plan géopolitique !

Selon le dernier bulletin mensuel de l’AFT, 54% de la dette de l’Etat est détenue par des investisseurs « non-résidents », selon la terminologie, c’est-à-dire étrangers (page 3). Elle représentait 2 429 milliards d’euros au 31 décembre 2023. Il s’agit de la dette de l’Etat au sens strict. La dette publique au sens large, dite « Maastrichtienne » (incluant sécurité sociale, collectivités, organismes publics), telle que calculée par l’Insee, a atteint 3 159 milliards d’euros en mars 2024. Pour information, la catégorie « Autres » (27,2%) correspond à la Banque de France, dans le cadre des rachats de dettes souveraines initiés par la BCE pendant la crise du Covid (concrètement, la planche à billets a été activée afin de créer la monnaie nécessaire à l’achat des obligations du Trésor).

L’Agence France Trésor vient de publier son rapport annuel 2023 (si vous cherchez une lecture estivale, même s’il y en a d’autres plus passionnantes), mais aucune trace des pays détenteurs de la dette française… Cependant, et c’est un indice crucial, le rapport donne la liste des pays visités : « L’AFT a rencontré des investisseurs de 20 pays différents en 2023 pour promouvoir les titres du Trésor et le crédit de la France » (page 14). Ce sont a priori les principaux acheteurs ou prospects. Nous les avons reclassés par continent :

  • Asie :Australie, Cambodge, Chine, Corée du Sud, Inde, Japon.
  • Moyen-Orient : Émirats arabes unis, Qatar.
  • L’Europe  :Autriche, Espagne, Italie, Luxembourg, Pays-Bas, Portugal, Royaume-Uni, Roumanie, Suisse.
  • Amériques :États-Unis, Mexique.
  • Afrique : Maroc.

C’est intéressant. L’Europe domine en nombre de nations, ce qui est normal, car les pays de la zone euro sont naturellement enclins à s’endetter en euros, ce qui leur évite le risque de change. Mais il faut noter la présence du Royaume-Uni et de la Suisse, qui bénéficient chacun de leur monnaie. Pourquoi les banques espagnoles et italiennes acquièrent-elles de la dette française, alors que la dette de leur pays ne manque pas et rapporte plus ? On aimerait avoir des précisions de l’AFT sur ce sujet. Admettons une diversification. Notons que Bercy n’hésite pas à se mettre en avant dans un paradis fiscal (le Luxembourg), ce qui démontre une ouverture d’esprit indéniable.

Les grandes économies d’Asie sont présentes (avec le Cambodge, une perspective évidente). Ces pays, notamment la Chine, génèrent un excédent commercial avec la France. Ils accumulent donc des euros qu’ils réinjectent dans notre dette. Logique. Voilà un moyen de pression que Pékin peut utiliser à sa guise…

Du PSG à l’immobilier en passant par le CAC 40, l’intérêt du Qatar pour la France est bien connu. Voici un aspect supplémentaire de cet intérêt. Quelle idylle. C’est peu connu, mais la France dispose d’une base militaire permanente hors du continent africain, située à Abu Dhabi, aux Émirats arabes unis. Les liens sont donc vraiment étroits.

En tant que première place financière mondiale, les États-Unis figurent bien sûr sur cette liste, tout comme le Mexique… Les narcos pourraient chercher à diversifier leurs actifs pour ne pas dépendre uniquement du dollar.

Premier producteur mondial de résine de cannabis, le Maroc génère 12 milliards de dollars de revenus annuels selon Wikipédia, ou plutôt d’euros étant donné que le marché de destination est l’Europe, et qu’une partie de cette somme doit être investie*.

Bref, cette liste dessine un paysage géopolitique déjà très révélateur, mettant en évidence certaines faiblesses ou dépendances, sans même en connaître les montants exacts…

Jetons un voile de modestie.

* Pour mesurer le poids énorme de la drogue dans nos économies, nous lirons Extra pure, voyage dans l’économie de la cocaïne de Roberto Saviano (l’auteur de Gomorra), une lecture estivale passionnante.

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