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Les dépenses folles du Kremlin pour envoyer des soldats sur le front ukrainien

Six à sept fois le salaire médian pour la première année au front, une prime pour la famille en cas de décès, et des publicités partout à Moscou : le Kremlin tente par tous les moyens d’attirer de nouveaux soldats et de les envoyer en Ukraine.

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Annonce de recrutement dans l'armée en Russie. (SYLVAIN TRONCHET / RADIO FRANCE)

Une partie du « salaire de la mort ». Pour recruter toujours plus de soldats prêts à s’engager pour partir en Ukraine, les autorités russes proposent des sommes toujours plus importantes. Les montants atteignent des niveaux astronomiques par rapport au salaire moyen. Ces sommes sont affichées partout à Moscou, sur d’immenses panneaux d’affichage, sur les portes des magasins, dans le métro : 5 200 000 roubles. C’est ce que les autorités offrent aux volontaires pour la première année, soit 52 000 euros, soit six à sept fois le salaire médian dans la capitale russe.

Et les autorités le martèlent de toutes les manières, notamment dans une publicité télévisée qui demande : « De quoi sont faits les hommes russes ? » On voit d’abord des hommes plutôt efféminés portant des bijoux, buvant des cocktails, ce qui est censé représenter les Occidentaux. L’image suivante montre un homme très fort en uniforme ouvrant une canette avec son poignard, c’est l’homme russe. C’est le discours – caricatural – que l’on entend toute la journée aujourd’hui en Russie.

Les autorités russes affirment que plus de 1 000 hommes s’enrôlent chaque jour. Impossible de savoir si c’est vrai. Mais ce que l’on constate, c’est que pour l’instant l’armée russe ne semble pas manquer d’hommes. Malgré tout, si les salaires ont augmenté très fortement ces derniers mois, on peut supposer que cela devient de plus en plus compliqué.

Une publicité pour le recrutement militaire, sur une machine dans le métro, en Russie. (SYLVAIN TRONCHET / RADIO FRANCE)

L’argent est un argument majeur, mais ce n’est jamais quelque chose dont les volontaires, comme Vladimir, un père de famille de 45 ans vu avec son sac, prêt à partir, parlent ouvertement devant un bureau de recrutement de Moscou. « Je ne suis pas ici pour l’argent, tout va bien pour moi. C’est ma patrie, c’est ce qui me motive. Je gagne bien ma vie, je suis plombier, je gagne 200 000 roubles par mois. Le seul problème, c’est que mon fils a 18 ans et qu’il lui reste deux ans avant de terminer l’école. Il vaut mieux que j’aille là-bas plutôt que lui, non ? »

Cela dit, même s’il gagne bien sa vie, Vladimir va plus que doubler son salaire en partant en Ukraine. Sans compter qu’il ne paiera plus d’impôts, que l’éducation des enfants sera prise en charge, que les soins prodigués à ses parents âgés seront assurés et qu’un emploi lui sera assuré à son retour. Jamais dans l’histoire russe les soldats, traditionnellement mal payés, n’ont gagné autant.

Beaucoup de ces hommes qui s’enrôlent viennent des régions les plus pauvres de Russie, comme la Bouriatie, loin de Moscou, à la frontière avec la Mongolie. « Aujourd’hui, le flux de personnel militaire en provenance de Bouriatie reste important car les gens sont attirés par la prime d’enrôlement d’un million de roubles, déclare Alexandra Garmazhapova, militante et présidente du mouvement pour la Bouriatie libre. Il est presque irréaliste de gagner autant d’argent en Bouriatie, où l’on discute actuellement de la façon d’acheter du bois de chauffage pour l’hiver. Un camion de bois coûte 30 000 roubles, une somme exorbitante pour les habitants de Bouriatie. Certains contractent des emprunts pour chauffer leur maison en hiver.

Si ces hommes meurent au combat, l’État paie aussi : jusqu’à 12 000 000 de roubles en cas de décès, soit 120 000 euros. Dans les régions les plus pauvres de Russie, ces sommes sont si importantes que l’économiste russe exilé aux États-Unis, Vladislav Inozemtsev, parle d’une véritable économie de la mort : « Si vous calculez tous les revenus d’un homme au front, qui y combat pendant un an et que sa famille reçoit toutes les primes pour sa mort, il s’avère que si cet homme avait 35 ans, dans 60 régions de Russie, sa famille reçoit plus d’argent qu’il n’aurait pu gagner jusqu’à sa retraite. »

« En d’autres termes, si l’on met de côté les aspects moraux, il s’avère qu’aller au front et se faire tuer un an plus tard est plus rentable que de travailler honnêtement pendant plusieurs décennies. »

Vladislav Inozemtsev, économiste

à franceinfo

Pour la grande majorité des économistes, la Russie peut continuer à verser ces sommes pendant au moins plusieurs années, et ainsi financer sa guerre en Ukraine, et éviter de devoir lancer une nouvelle campagne de mobilisation. Notamment parce que le Kremlin se souvient que la mobilisation de septembre 2022 avait fait fuir plusieurs centaines de milliers d’hommes du pays.

Gérard Truchon

An experienced journalist in internal and global political affairs, she tackles political issues from all sides
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