Un déploiement loin d’être anodin. La huitième Compagnie républicaine de sécurité (CRS), ou CRS 8, est partie samedi 21 septembre pour la Martinique, département d’outre-mer en proie depuis plusieurs nuits à de violents affrontements urbains, dans un contexte de crise liée à la vie chère. Cette unité d’élite, spécialisée dans la lutte contre les violences urbaines créée en 2021 par Gérald Darmanin, avait notamment été déployée en avril 2023 à Mayotte pour renforcer les effectifs de l’opération de sécurité « Wuambushu » et à Marseille en août 2023 pour contrôler le trafic de drogue. Mais sur l’île des Caraïbes, ce sera la première fois qu’une Compagnie républicaine de sécurité sera autorisée à intervenir depuis soixante-cinq ans.
Le 20 décembre 1959, le territoire d’outre-mer, devenu département français en 1946, est le théâtre d’un soulèvement populaire provoqué par un banal accident de la route entre un Martiniquais noir et un métropolitain blanc, comme le rappelle la chaîne La 1ère. Trois jours de violences s’ensuivent entre de jeunes manifestants martiniquais et la police nationale, dont une unité de CRS. L’intervention de ces policiers a depuis été jugée « disproportionné » par les historiens, notamment en raison des décès de trois Martiniquais, âgés de 15, 19 et 20 ans, qui leur sont attribués. Ces événements, qui resteront dans les mémoires comme les « décembre noir », entre en conflit avec la population et la classe politique. Le Conseil général de la Martinique – la collectivité qui gère l’île – décide alors, le 24 décembre, « retrait de tous les CRS et éléments racistes indésirables ».
Une décision rigoureusement appliquée jusqu’à ce samedi 21 septembre. Ce basculement historique a été justifié par l’importante circulation d’armes à feu sur le territoire. Ces dernières nuits, plusieurs policiers ont été blessés par balles réelles lors des affrontements. Et ce, malgré le couvre-feu et l’interdiction de manifester, décrétés à Fort-de-France et dans trois autres communes. Les membres du CRS 8 auront pour objectif de renforcer le GAN (Groupe de soutien nocturne).
« La Martinique ne connaît pas de guerre civile »
Le déploiement de cette unité de police a cependant suscité la colère de certains en Martinique. « Cette mesure (…) ne fait qu’aggraver les tensions et détourner l’attention des revendications légitimes du peuple martiniquais », a déclaré la députée socialiste de Martinique, Béatrice Bellay, dans un communiqué. « Le premier acte politique du nouveau gouvernement macroniste consiste à envoyer en Martinique, pour la première fois depuis les émeutes meurtrières de décembre 1959, la 8e Compagnie républicaine de sécurité (…) comme si la Martinique était dans un climat insurrectionnel », souligne-t-elle. L’élue socialiste appelle plutôt à « l’instauration d’un dialogue ouvert et transparent »martelant ça « La Martinique ne connaît pas de guerre civile. »
Malgré le couvre-feu partiel, la nuit de jeudi à vendredi a été à nouveau « agité » sur l’île, a indiqué la préfecture, citant trois barrages « érigé et incendié au Lamentin » et huit dans le sud de l’île. Quatre personnes ont été interpellées. Les tensions, vives depuis plusieurs jours, s’inscrivent dans un mouvement contre la vie chère, lancé début septembre en Martinique. Pour justifier l’interdiction de manifester, le représentant de l’Etat en Martinique, a invoqué, dans un communiqué, une mesure destinée à « de mettre un terme aux violences et dégradations commises en groupe, mais aussi aux nombreuses entraves à la vie quotidienne et à la liberté de circulation qui pénalisent l’ensemble de la population, notamment le week-end ».
Néanmoins, « Les manifestations de protestation régulièrement déclarées aux autorités compétentes continueront de pouvoir avoir lieu », a ajouté la préfecture. Elle a également annoncé l’organisation, « dans les prochains jours », d’une nouvelle table ronde sur le thème de la vie chère avec l’ensemble des acteurs, « élus, pouvoirs publics, acteurs économiques et associatifs », sans donner de date précise. En Martinique, selon une étude de l’Insee en 2022, les prix des denrées alimentaires étaient 40% plus élevés qu’en métropole.