Santé

Les coûts économiques gigantesques des moustiques

Un cas autochtone de dengue vient d’être signalé dans l’Hérault, le premier de l’année en métropole. La saison des moustiques est ouverte…

Coordonnée par des scientifiques de l’IRD Montpellier, du CNRS et du Muséum national d’histoire naturelle, une étude internationale révèle l’augmentation massive du coût économique mondial associé à deux espèces invasives de moustiques (dont le moustique tigre) vecteurs de la dengue, du chikungunya et du virus Zika.

LA TRIBUNE – Comment est né ce projet sur le coût économique des moustiques ?

David ROIZ, chercheur à l’IRD Montpellier en écologie et épidémiologie des maladies émergentes transmises par les moustiques – Déjà en 2014, l’écologue Franck Courchamp avait travaillé sur les coûts économiques des espèces invasives – plantes et insectes – et publié un rapport. Spécialiste des maladies émergentes transmises par les moustiques, j’ai moi-même développé plusieurs approches intégrées ainsi que des stratégies de prévention, notamment pour le ministère de la Santé. En 2020, l’entomologiste Frédéric Simard, directeur de recherche à l’IRD, a constitué une équipe pluridisciplinaire composée d’écologues, d’épidémiologistes et d’économistes, soit une dizaine de personnes, pour mener une étude qui s’appuierait sur les coûts associés à deux espèces invasives de moustiques : les moustiquesAedes aegyptinotamment connu pour transmettre la dengue et la fièvre jaune, etAedes albopictuscommunément appelé moustique tigre et vecteur de la dengue, du chikungunya et du virus Zika.

Votre étude révèle qu’entre 1975 et 2020, les coûts économiques totaux enregistrés s’élèvent à 94,7 milliards de dollars. Que comprend exactement ce montant et sur quelle base avez-vous basé votre calcul ?

Dans cette étude, qui couvre 166 pays et territoires d’outre-mer, nous avons analysé plus de 2 000 articles, publications scientifiques, documents officiels et rapports de santé qui peuvent caractériser les dépenses générées par ces moustiques et les pathologies associées. Sur les 94,7 milliards de dollars (590 millions en France, dont 33 millions en métropole, NDLR :), 90 % des dépenses sont liées aux frais médicaux directs, à savoir les frais de diagnostic, de traitements, d’hospitalisation, etc., et à diverses pertes de revenus telles que la perte de productivité ou le ralentissement de l’activité touristique en période d’épidémie. Seulement 10 % de ces coûts sont liés aux dépenses engagées dans la gestion des vecteurs invasifs.

La situation s’est-elle détériorée au cours des 50 dernières années ?

Les maladies sont en augmentation et les épidémies se font plus fréquentes. Au Brésil, par exemple, l’épidémie de dengue a récemment touché plus de six millions de personnes. On estime que depuis 1995, en raison de l’émergence du chikungunya, les coûts économiques ont été multipliés par 14 ! L’augmentation est exponentielle et les chiffres sont sous-estimés. En effet, les coûts déclarés ne représentent qu’une partie du fardeau réel des pathologies transmises par les deux espèces. Tout comme un Covid long, les séquelles provoquées par ces maladies, comme les maladies neurologiques chez les adultes infectés par le Zika ou les anomalies cérébrales chez les nourrissons, ne sont pas prises en compte. Si on les additionne, la facture s’envole à 318 milliards de dollars !

Quels sont les vecteurs de prolifération de ces espèces ?

Ces espèces invasives viennent d’Afrique et d’Asie, c’est tout le paradigme de la mondialisation. Ces invasions biologiques sont favorisées par un facteur d’introduction : les voyages, le transport de marchandises, l’urbanisation, la déforestation… A cela s’ajoute un facteur de dispersion, accéléré par les effets du changement climatique, avec des hivers moins rigoureux et des vagues de chaleur qui favorisent la croissance des larves. Dans les décennies à venir, les maladies associées à Aèdes devrait s’intensifier. Avec des symptômes plus ou moins graves et des séquelles plus ou moins longues.

Un cas de dengue vient d’être signalé à Pérols (Hérault) alors que la personne infectée ne s’était pas rendue dans une zone à risque…

Ce cas est dit « autochtone » car la personne a contracté la maladie sans avoir voyagé. En 2023, sur l’ensemble de la saison de surveillance du moustique tigre, 65 cas de dengue, dont 22 cas autochtones, ont été recensés en Occitanie. La région est d’ailleurs l’une des plus touchées avec la région PACA. L’an dernier, le marché public de l’Agence régionale de santé en Occitanie a consacré plus de 600 000 euros à la lutte antivectorielle et à la surveillance entomologique.

Face à ces coûts sous-estimés et en pleine explosion, quelles sont vos recommandations ?

Anticipation et prévention. Une stratégie de gestion intégrée est indispensable. Pourtant, les investissements dédiés à la prévention et à la gestion de ce risque sanitaire émergent ont peu évolué. Notre rapport vise à permettre aux décideurs de se positionner pour éviter des impacts plus larges. Des études de « coût-efficacité » couplées à des analyses d’acceptabilité sociale pourraient aider à orienter les décisions pour combiner les méthodes et outils les mieux adaptés au contexte social.

Quelles sont les pistes de prévention ?

Surveillance, lutte anti-vectorielle, communication, sensibilisation aux gestes simples comme éviter les eaux stagnantes et les insecticides, développement de vaccins, innovations technologiques… Les leviers sont nombreux. A Montpellier, par exemple, la startup Terratis a développé le très respectueux de la nature de l’insecte stérile, le principe étant de relâcher des mâles stérilisés chaque semaine pour limiter la prolifération des femelles sauvages. C’est une formidable alternative aux pesticides… Seuls des changements sociétaux, une collaboration internationale et la mise en place d’actions de prévention efficaces et durables permettront de limiter ces invasions et d’en réduire les coûts. Participation citoyenne, actions gouvernementales, recherche… Chacun a un rôle à jouer.