FIGAROVOX/TRIBUNE – Pour François Valentin, qui a travaillé deux ans à Westminster au sein d’un think-tank conservateur, la défaite des conservateurs aux législatives s’explique par le fait que les conservateurs n’ont pas su tirer les leçons du référendum de 2016.
François Valentin est analyste politique et a travaillé au sein du think-tank Onward à Westminster. Il est le fondateur du podcast Uncommon Decency sur les affaires européennes et rédacteur en chef de la newsletter Hexagone sur l’actualité politique et institutionnelle française. Il est lauréat de la bourse Schwarzman à Pékin.
Il s’agit d’un désastre électoral sans équivalent dans la très longue histoire du Parti conservateur. En cinq ans, le parti est passé de son meilleur score électoral depuis Margaret Thatcher à une quasi-extinction. Les raisons de ce désastre sont multiples. Un manque d’amour évident envers les jeunes générations, une cascade de scandales politiques, une usure assez naturelle du pouvoir après quatorze ans aux commandes. Mais surtout, en toile de fond : le Brexit.
Le Brexit a indéniablement un impact économique. Si la croissance britannique reste au niveau de ses voisins continentaux, les experts prévoient une chute de 15% des importations et des exportations à long terme. Bloomberg évalue les dégâts à 124 milliards d’euros par an.
Mais l’impact premier du Brexit est politique. Il aura à la fois paralysé le pays et décapité le Parti conservateur. David Cameron, avec sa promesse de campagne de 2015 de proposer un référendum sur l’appartenance du Royaume-Uni à l’Union européenne, aura ouvert malgré lui une boîte de Pandore. Le scrutin de 2016 aura à la fois mis en lumière les faiblesses structurelles d’un pays en fin de cycle économique tout en détournant toute la capacité politique du pays de ces questions au profit de luttes homériques avec Bruxelles et au sein même de Westminster.
La victoire du « Leave » a été une révélation terrible. Dans un pays connu pour sa tempérance politique, de nombreux Britanniques « laissés pour compte » ont préféré renverser la situation et prendre le risque de larguer les amarres de l’Europe. Nombre de commentateurs londoniens ont alors découvert un arrière-pays délaissé par la mondialisation. La fameuse révolte des « somewhere » contre les « anywhere » décrite par l’essayiste David Goodhart.
Huit ans après le Brexit, le pays aspire donc à un retour à la normale, loin des négociations à couteaux tirés avec Michel Barnier et des machinations parlementaires des conservateurs.
François Valentin
Beaucoup de partisans du « stayer » qui imputent au référendum de 2016 la responsabilité du malaise économique britannique oublient de souligner que le Brexit est bien plus la conséquence des fragilités structurelles du pays que sa cause. La chute de la productivité remonte bien plus à la crise de 2008 qu’au Brexit. La déconnexion de Londres du reste du pays remonte au choix de la désindustrialisation et de la financiarisation de l’économie à la fin du siècle dernier. C’est dans ces pans entiers du Royaume-Uni où l’économie avait été durablement endommagée que le Brexit a trouvé son électorat.
Mais cette révélation politique de la fragilité du pays a vite été noyée par la complexité monstrueuse des négociations du Brexit. Pas moins de quatre ans se sont écoulés entre le 20 mars 2017, début du processus de divorce, et la ratification le 30 décembre 2020 de l’accord de commerce et de coopération avec l’UE. Quatre longues années consommées politiquement presque exclusivement par le Brexit, avec une phagocytation de l’activité législative, le tout dans une hystérie permanente.
Une dynamique politique qui a parfois rappelé la Révolution française. D’un côté, les sans-culottes de cette révolution, les Hard Brexiters réclamant sans cesse un Brexit de plus en plus pur, guillotinant politiquement les modérés soupçonnés de vouloir trahir la volonté du peuple. Le Parti conservateur aura perdu dans ce processus des élus centristes de qualité opposés à un Hard Brexit jugé trop risqué.
De l’autre côté, les « remainers », qui, tels des immigrés en 1793, se réjouissaient des humiliations de leurs propres dirigeants face aux « alliés » continentaux. La Première ministre Theresa May a en effet souffert le martyre politique pendant trois ans pour tenter de trouver un accord, négociant moins avec les Européens, qui ne lui cédaient certes pas grand-chose, qu’avec son propre parti ! Accord après accord fut balayé par ses députés avant qu’elle ne soit contrainte de démissionner. Sans majorité législative, le pays était englué dans les limbes, voulant quitter l’UE mais ne sachant pas comment.
Lors de la campagne législative de 2019, Boris Johnson avait su surfer sur la vague de la fatigue provoquée par cette paralysie politique avec une promesse simple comme bonjour : « Get Brexit Done ». Profitant de la faiblesse de son adversaire travailliste Jeremy Corbyn, embourbé dans des controverses sur l’antisémitisme, « Bojo » avait su fédérer de nombreux électeurs du célèbre mur rouge post-industriel du nord de l’Angleterre qui avaient voté pour la gauche pendant des décennies mais aussi pour le Brexit en 2016. Un triomphe qui lui a offert la plus grande majorité de droite depuis Thatcher.
Le Parti conservateur aurait pu enfin transformer le pays. Mais ce dernier, miné par ses conflits, engloutissant quatre Premiers ministres en quatre ans, va sombrer dans le gouffre.
François Valentin
Des institutions comme le think tank de droite Onward, fondé en 2018, ont tenté de théoriser ce que devait devenir un Parti conservateur post-Brexit, insistant sur la nécessaire transition d’un « État absent » à un « État actif ». Au cœur de ce réalignement idéologique d’un parti qui avait poussé très loin le bouchon de l’austérité sous David Cameron, l’agenda du « levelling up » qui devait permettre au reste du pays de réduire l’écart avec Londres notamment grâce à de grands projets d’infrastructures et d’investissement. En 2021, le ministère du Logement sera même rebaptisé ministère du « Levelling Up ».
Le Parti conservateur aurait pu enfin transformer le pays. Mais ce dernier, miné par ses conflits, consommant quatre Premiers ministres en quatre ans, va sombrer au fond. Boris Johnson aura été à la tête d’un des gouvernements les plus indisciplinés de l’histoire britannique avant de devoir démissionner pour ses mensonges devant le Parlement sur les fêtes organisées au 10 Downing Street en plein covid.
Dans un parti à la fois épuisé au niveau exécutif et chauffé à blanc à la base après cinq ans de guerres intestines, les militants conservateurs ont choisi Liz Truss et son programme thatchérien comme première ministre. Au-delà de son opposition à l’esprit de « droite sociale » de Boris Johnson, Truss serait surtout punie par les marchés financiers pour avoir proposé des baisses d’impôts totalement non financées et forcée de démissionner après seulement 45 jours.
Son successeur, Rishi Sunak, n’a pas réussi à laisser sa marque dans le pays, et sa popularité a chuté sondage après sondage. S’il a compris la nécessité de remédier aux difficultés économiques du Royaume-Uni, il n’a pas réussi à inverser la tendance.
Même le projet phare du rattachement, la ligne à grande vitesse HS2 entre Londres et le nord de l’Angleterre, a finalement été abandonné en cours de construction par Sunak, le projet s’étant lentement enlisé à grands frais pendant que Westminster se battait contre les derniers rebondissements du Brexit.
Huit ans après le Brexit, le pays aspire donc à un retour à la normale, loin des négociations à couteaux tirés avec Michel Barnier et des intrigues parlementaires des conservateurs. Mais les causes profondes du référendum de 2016 restent à résoudre. Il appartient aux travaillistes de montrer qu’ils peuvent faire mieux.