Avant la dernière étape de la Coupe du monde de qualification pour les Jeux Olympiques, organisée dans sa ville, le champion olympique d’épée revient sur une année mouvementée et en conflit avec sa Fédération.
Le rendez-vous est important. Dernière étape de la Coupe du monde avant l’annonce des épéistes français qualifiés pour Paris 2024. À 70 jours des JO, Saint-Maur-des-Fossés (Val-de-Marne) accueille pour la première fois le Monal Challenge. C’est donc à domicile que jouera le champion olympique de Tokyo. Un moment que le champion du monde 2022 attend avec un peu de pression mais surtout beaucoup de gratitude. Et un objectif clairement affiché – la victoire –, histoire de terminer en beauté une saison qui a vu les têtes d’affiche de l’épée tricolore aller s’affronter avec la fédération d’escrime.
Comment abordez-vous ce Monal Challenge, dernière étape de la saison de Coupe du Monde avant les Jeux Olympiques, notamment dans votre club et votre ville ?
Romain Cannone : C’est un plat agréable à digérer, oui. Mais ça fait du bien. Mon boucher me connaît, mon boulanger sera là ce week-end. C’est drôle, ça donne un peu de magie à ce week-end. C’était très bien organisé à Coubertin mais je l’ai pris comme une compétition. Là, j’ai toute ma famille qui vient, j’ai une ville qui me soutient. C’est sympa même si, bien sûr, ça met une pression supplémentaire. Mais cela vous prépare aux Jeux olympiques. Quand on est qualifié, ce n’est pas seulement une joie, c’est aussi un devoir. C’est une pression pour aller chercher une médaille pour la France. Celle de cette semaine, je la vis plutôt bien. Je n’ai jamais vécu ça et c’est assez drôle. Tout le monde me fait de grands sourires. En même temps, depuis quelques jours, il y a des affiches partout en ville avec ma photo (il rit)…
Qu’est-ce que cela changera pour vous de jouer à la maison ?
J’habite à dix minutes à pied du site de compétition, je dormirai donc chez moi. Ma colocataire est kiné, si jamais j’ai un problème, ce sera aussi à la maison. Je ferai même une partie de mon échauffement, de mes étirements, à la maison. Et puis, je prends mon sac… Sortir du lit et aller à une épreuve de Coupe du monde, je l’imagine. Déjà, je vois chaque jour la métamorphose du site. C’est une salle de handball et maintenant il y a la moquette, les pistes, l’espace VIP… J’ai même aidé : j’ai déplacé un frigo le week-end dernier (rire). Plus sérieusement, j’ai réalisé à quel point ce qui fait la force de la France, ce sont ses bénévoles. Ces parents qui donnent de leur temps pour créer des événements magiques. Quand je vois combien de jours de repos mon président (club) j’ai dû poser pour planifier ce Monal, c’est incroyable. Et tout ça pour zéro euro…
» Gagner le Monal serait le plus grand merci que je puisse adresser à tous ces bénévoles qui m’ont aidé et soutenu.. »
Votre plaisir se voit. Pourtant, cette année n’a pas été toute rose pour vous puisque, avec Yannick Borel et Alexandre Bardenet, vous êtes en désaccord avec le DTN de la Fédération d’escrime depuis de nombreux mois…
Chaque année est compliquée, avec des hauts, des bas, des défis. Mais quand j’ai décidé de prendre mon destin en main, avec mes coéquipiers, nous n’avions pas de feuille de route. Nous ne savions pas comment procéder. Heureusement j’avais mes parents, les bénévoles. Sans oublier Muriel (la présidente de son club de Saint-Maur-des-Fossés, NDLR) qui m’a aidé à organiser et mettre sur papier mes besoins pour les présenter à la Fédération et à l’ANS (Agence nationale du sport, NDLR). Un tribunal en fait, qui accorde ou non un soutien financier. Parce que nous n’avions pas de notice pour construire un projet qui tenait la route. Heureusement, j’avais ces gens-là, car tout seul, c’est pratiquement impossible. Je voudrais donc remercier toutes ces personnes qui font le succès d’un athlète. Gagner le Monal serait le plus grand merci que je puisse adresser à tous ces bénévoles.
Auriez-vous pu y aller seul, sans le soutien d’autres épéistes ?
Pas certain. Il faut beaucoup de courage pour aller à l’encontre du système, surtout quand il ne veut pas forcément que vous réussissiez parce qu’il veut rester en place.
» J’aimerais plus de dialogue, un dialogue positif, avec le DTN, et non cette impression de ne jamais être à l’abri d’une contre-attaque de leur part. »
Est-ce que vous blâmez toujours le DTN ?
Bien sûr, je lui en veux. Par exemple, elle ne nous a jamais fourni de plan sur la manière de présenter un projet individuel de haut niveau. Nous avons réussi à en obtenir un en scred, et heureusement. Sinon j’aurais fait une présentation PowerPoint avec une vidéo »salut, je prévois de m’entraîner avec mon club ». Mais non, il fallait montrer le nombre d’heures d’entraînement, prévoir un budget, qui s’occupe de quoi, l’ANS verse-t-elle le financement directement au club, au sportif, aux entraîneurs, à la Fédération ? Nous ne savions rien de tout cela. J’ai fait une école de commerce mais là, il faut un triple Master (rire)… On avait l’impression que leur objectif était : «Nous les aiderons le moins possible, de cette façon ils seront obligés de revenir vers nous. Nous allons leur montrer qu’ils ne peuvent pas réussir sans le système… » Et ce n’est pas faux. Quand on est tout seul, on pense parfois que c’est impossible. En début d’année, j’étais découragé. J’avais beaucoup de stress, je ne dormais pas bien… Ce qui me faisait tenir, c’était ces gens autour de moi, mes proches et les bénévoles. Qui m’a donné un véritable coup de main. Mais quand on regarde les histoires des athlètes qui ont gagné, leur force vient souvent du fait que cela n’a pas été facile. Aujourd’hui, je suis content de mon fonctionnement, très fier d’avoir pris tout cela en main. Je ne regrette rien dans mes choix.
À quoi aspirez-vous désormais dans vos relations avec la Fédération et la DTN ?
J’aimerais plus de dialogue, un dialogue positif, avec eux, et non cette impression de ne jamais être à l’abri d’une contre-attaque de leur part.
Comme lorsqu’ils vous ont fermé l’accès à l’Insep en février-mars ?
Exactement. Nous avons conclu un accord sur papier et ils ne l’ont pas honoré. Ça demandait plus d’organisation, ça demandait plus de budget… On a vécu ça comme une manière de se dire : »Nous ne pouvons pas vous contrôler, alors partez !’«Je ne suis pas dans leur tête, mais nous l’avons pris ainsi.
Un peu fou à cinq mois des Jeux…
(Sourire) Joker…
Les tensions sont-elles désormais résolues ?
Je ne sais pas. Je suis heureux d’avoir remporté l’épreuve de Coupe du monde à Tbilissi avec Gauthier (Camion à grumes). Cela montre que je peux travailler avec le nouveau manager. Qu’il puisse me coacher, qu’il me comprenne en compétition. Après, je pense qu’il y a encore du travail à faire sur beaucoup de points. Que ce soit de mon côté ou de leur côté. Aurais-je souhaité plus de dialogue, plus d’individualisation avec ce nouveau manager, ou préfère-t-il se concentrer sur les sept athlètes de l’Insep ? Je ne sais pas.
» Cela n’aurait aucun sens de tout bouleverser maintenant. On a envie de continuer comme ça pour remporter cette médaille d’or par équipe. »
Que va-t-il se passer ensuite, après l’annonce des qualifications pour les Jeux Olympiques le 27 mai ?
Nous ne la connaissons pas encore. Si je me qualifie pour les Jeux olympiques, il faudra planifier les deux derniers mois précédant les Jeux olympiques. Cela va demander beaucoup de réflexion. C’est pour ça qu’après le Monal, je vais prendre 3-4 jours en montagne pour voir comment j’imagine ma préparation olympique. Je vais faire comme si je devais m’occuper de ça seul. La réflexion que j’aurai se fera donc d’abord d’un point de vue individuel. Ce dont j’ai besoin. Et puis comment le relier aux besoins des autres.
Imaginez-vous cette préparation olympique, tous les trois seuls, chacun à votre manière, ou sous l’égide de la Fédération ?
Nous sommes tous les trois unis depuis le début. Nous partageons des séances d’assaut dans nos clubs, nous partageons les mêmes préparateurs physiques. L’idée c’est de se dire que ce n’est pas un coach qui fait des athlètes, ce sont les athlètes qui font des athlètes. Quand on a un Yannick Borel qui a vingt ans d’expérience, la transmission est primordiale. C’est ce qui fait notre force, d’avoir construit un projet commun pour réussir. Et cette situation montre que nous nous connaissons. Nous savons nous coacher, que dire quand quelqu’un ne va pas bien, que ce soit pour le secouer ou le réconforter. Cela n’aurait aucun sens de tout bouleverser maintenant. On a envie de continuer comme ça pour remporter cette médaille d’or par équipe. Donc l’objectif, si nous sommes tous les trois qualifiés, c’est de rester soudés. Et si je ne l’étais pas, je ne dirai pas »ciao, je pars en vacances ». Je vais les aider à se préparer du mieux que je peux.
Propos recueillis lors du point presse