Laissons l’auteur de cet article évoquer tout de suite un souvenir. Septembre 2018. C’était à Malataverne, commune de la Drôme, dans la grotte du Mandrin. Un reportage pour évoquer la quête des derniers Néandertaliens de France qu’une équipe dirigée par l’archéologue Ludovic Slimak, chercheur au CNRS, y menait chaque été depuis des années. Et à l’entrée de la grotte, telle une apparition : écrasée et toujours emprisonnée dans le sol gris, une mandibule pleine de dents. Quelques phalanges à côté et, un peu plus loin, d’autres dents. Le crâne manquait mais, sans aucun doute, nous étions là devant le plus beau spécimen néandertalien découvert en France depuis la fin des années 1970. Un merveilleux scoop.
Cependant, la science et sa vulgarisation sont telles qu’on ne fait pas mention d’une découverte tant que son étude approfondie n’est pas publiée dans une revue sérieuse. Pour ne pas compromettre le travail du chercheur ou la confiance qu’il vous a accordée, mais aussi pour éviter que la découverte annoncée ne fasse long feu. Il a donc fallu promettre de ne rien révéler, s’asseoir sur le scoop et se mordre les lèvres. Six ans plus tard, presque jour pour jour, l’étude paraît enfin dans Génomique cellulaire, ce mercredi 11 septembre.
L’individu a été surnommé « Thorin », comme le personnage du roman. Bilbo le Hobbit. « C’est un hommage à Tolkien, qui a décrit des humanoïdes intelligents appartenant à différentes espècesexplique Ludovic Slimak, premier auteur de l’étude. Thorin de Tolkien est l’un des derniers rois nains sous la montagne, l’un des derniers de sa lignée, et notre Thorin est l’un des derniers Néandertaliens.
« Extraction grain à grain »
Si l’étude a mis autant de temps à être publiée, c’est dû à deux raisons principales. Tout d’abord, la lenteur de l’extraction des restes de Thorin, en réalité exhumés en 2015 ! « J’avais décidé d’étendre les fouilles à l’extérieur de la grotte, déclare Ludovic Slimak. C’est lors du nettoyage de la zone que nous l’avons vu. Sous le premier coup de pinceau, cinq dents reliées entre elles sont apparues. « Personne ne peut arracher un fragment de sa mâchoire, a déclaré le chercheur. Bien sûr, il y avait un corps. Mais au sol, tout est fragile. Comment faire pour sortir cette chose, composée de milliers de petits morceaux, tout en préservant sa position précise ? Répondre : « On arrête tout, on s’assoit et on réfléchit. Il a fallu développer un protocole d’extraction grain par grain. Et quand je dis ça, ce n’est pas une image, c’est du grain par grain avec des pincettes. »
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