Petit retour en arrière, en décembre 2023 : sur Le Retour à La Base, une course en solitaire entre la Martinique et Lorient. A bord de son Imoca à foils, Sébastien Simon réalise une énième chute. Dans l’un d’eux, il est tombé violemment. Panne totale. « J’ai repris conscience avec le visage plein de sang. » Il a une grosse blessure à la tête. Avec l’agrafeuse de la trousse de secours, il se met « une dizaine d’agrafes sur la tête ». Il ne le sait pas encore, mais sa 7ème vertèbre est fracturée, ce qui l’obligera à porter un corset pendant trois mois.
Protocole de commotion cérébrale
Cet accident change tout pour Sablais qui fait réaliser un siège moulé, monté sur amortisseurs. La cellule vitale de son bateau a été coupée en deux à l’aide de filets, afin d’être ralentie en cas de choc et de ne pas être projetée contre un mur.
Sur ce même transat, Romain Attanasio s’est lui aussi fendu le crâne après une violente chute. En sang, le skipper a perdu connaissance à deux reprises : « J’ai mis un peu de temps à reprendre mes esprits, je ne savais plus où j’étais. » Quelques minutes plus tôt, le Lorientais se souvient avoir vu le compteur afficher une pointe à 38,5 nœuds. Soit 71 km/h. Un crash en mer, c’est comme descendre un talus. La décélération est brutale.
Dans les deux cas, le médecin de course a appliqué le protocole commotion cérébrale. Comme au rugby. Suite à ce choc, Attanasio a mis de la mousse partout à l’intérieur de son cockpit, il a également ajouté une ceinture de sécurité à son siège de quart.
Victime d’une collision lors d’une étape de The Ocean Race, Charlie Dalin porte désormais un casque rigide et non plus un casque de rugby. « Nous avons également réduit la taille du cockpit, ce qui limite la distance en cas de chute. »
Le skipper de Macif a également fait construire un siège sur mesure avec amortisseur et ceinture de sécurité. La tendance est de protéger le skipper, pas de ralentir un bateau sans freins. « Nous n’avons jamais essayé de ralentir un bateau en course, reconnaît Attanasio. Les accidents mortels en Formule 1 ont changé les règles. La voile devra-t-elle attendre un drame pour suivre le même chemin ? Attanasio n’esquive pas la question : « On se demande toujours quand viendra le moment où il faudra ralentir parce que l’homme ne tiendra plus ».
Jean Le Cam affirme que « les bateaux à foils ne sont plus assez marins ». Ce qui fait réagir le tenant du titre, Yannick Bestaven : « Il faut toujours écouter ce que dit Jean Le Cam mais je dis aussi qu’on peut enlever le pied de nos foilers quand ça bombarde trop ».
Pathologies retrouvées dans les accidents de la route
Les Imocas équipés de foils ne volent pas complètement, le gabarit interdisant les avions d’appui sur les deux safrans. Ils volent en ricochets. Chaque décollage se termine donc par autant de crashs, parfois violents. A l’intérieur, chaque voyage devient une expédition. Certaines personnes solitaires dorment attachées, les pieds devant se retrouvant contre une cloison.
La médecin de course, Laure Jacolot, se dit inquiète des pathologies retrouvées dans les accidents de la route : « Ce sont les foils et les mouvements du bateau qui entraînent des mouvements et arrêts-buffles qui vont provoquer des commotions cérébrales. Nous les avons désormais sur presque toutes les courses, que ce soit en Imoca mais aussi en Class40. » Aucun marin ne porte de gilet avec airbag intégré comme cela existe en équitation.
Avec le risque, en cas de choc, d’endommager la colonne vertébrale, voire le foie, la rate, les reins, etc. Organes très vascularisés qui peuvent saigner. Avec une question : comment gérer les hémorragies internes au sens large ?
Un bruit constant
Aujourd’hui, les bateaux Imoca sont équipés de capteurs de charge qui mesurent les efforts absorbés à chaque instant par le mât, les foils, les écoutes et la structure. Mais qu’en est-il des capteurs humains ?
Si les personnes solitaires sont formées aux gestes de premiers secours (faire un point de suture, préparer une attelle), si elles apprennent à dormir par intervalles, elles ne disposent pas encore des outils pour mesurer leur niveau de stress, de fatigue, leur fréquence cardiaque.
Sans parler des nuisances sonores : lorsque le bateau avance à grande vitesse, la quille et les foils se mettent à chanter, produisant un son permanent mesuré à 90 décibels, bien supérieur au niveau sonore d’une machine à laver bruyante.
Dans le sport automobile, on dit généralement que la seule limite est humaine. Les marins solitaires ne sont sans doute pas très loin…