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« Les Barbares » de Julie Delpy : « J’avais envie de rire de ce racisme absurde et stupide »

Réalisatrice et comédienne, Julie Delpy a filmé de nombreuses relations entre différentes cultures, notamment celles entre la France et les États-Unis, ses pays d’origine et d’adoption. Les barbaresElle aborde avec humour le problème de l’accueil des réfugiés, en centrant son récit sur Paimpont, un village breton. La ville se prépare à accueillir en grande pompe les Ukrainiens. Mais dans l’offre migratoire, ils sont tellement demandés qu’il n’y en a plus de disponibles.

La France, terre d’accueil, a fait un excellent travail. A la place, arrive une famille syrienne, moins appréciée des citoyens. Si Joëlle, l’institutrice au grand cœur, leur ouvre grand les bras, tous les habitants ne se montrent pas aussi bienveillants. Certains leur mettent même des bâtons dans les roues. Ludique, bien écrit, Les barbares choisit l’empathie pour évoquer ce qui nous rassemble, au-delà de nos différences. C’est souvent drôle, gentiment cruel et doté d’une bonne dose d’autodérision.

D’où vient l’envie de faire un film sur l’échange de réfugiés ?

Julie Delpy

Réalisatrice et actrice

J’avais déjà commencé à écrire un scénario sur l’accueil des réfugiés syriens en France. Nous avions fait beaucoup de reportages et d’interviews, mais nous avions du mal à trouver des financements pour le film. Quand la guerre a éclaté en Ukraine, j’avais pas mal d’amis qui hébergeaient des Ukrainiens à Paris, en Pologne, au Portugal ou en Angleterre. Et c’est formidable.

Mais nous avons eu tellement de témoignages de personnes confrontées à des frontières fermées, d’histoires de bateaux coulés, de personnes qui ont vécu l’enfer, que ce double standard avec, d’un côté, les réfugiés blonds aux yeux bleus et, de l’autre, les moins blonds et les moins bleus aux yeux était vraiment terrible. Le racisme pèse dans cette thématique. Tout d’un coup, l’État français donne beaucoup d’argent pour accueillir les réfugiés ukrainiens alors qu’il n’en donnait quasiment pas aux associations ou aux ONG auparavant en charge des réfugiés d’autres pays. La souffrance de certains peuples est à nos yeux moins importante que celle d’autres. C’est affligeant et catastrophique, mais c’est malheureusement une réalité.

Pourquoi décidez-vous de rire de cette situation ?

Le film n’est pas seulement drôle, mais j’avais envie de rire de ce racisme absurde et stupide. Les films politiques ou sociaux qui m’ont le plus marqué étaient la satire. Cet humour me place devant un miroir qui m’amène à me dire que moi aussi je peux être comme ça, j’ai moi aussi eu des idées reçues. Nous sommes tous un peu ces personnages-là. C’est bien de s’en souvenir et l’humour est le meilleur moyen d’être ramené à cette réalité.

Le film questionne également la question du traitement médiatique des réfugiés…

Les financiers qui m’ont suivi étaient formidables, mais j’en ai rencontré d’autres qui me disaient des choses comme : « Pourquoi vos réfugiés ne causent-ils pas plus de problèmes ? Pourquoi ne sont-ils pas des gars de l’État islamique ? » Dans 90 % des cas, les personnes que nous avons interrogées avaient travaillé en Syrie avant de se retrouver ici, avec leur famille, dans des situations précaires et difficiles.

Même si certains jeunes sont venus seuls, ils sont une minorité qui se trouve en difficulté car ils ne sont pas les bienvenus. Il n’y a pas eu de fonds français pour aider ces réfugiés. Et la résistance d’une partie de la classe politique française qui veut les diaboliser est très violente. Plus ils sont diabolisés, plus ils vont se replier sur eux-mêmes, s’enfermer dans des ghettos et être en dehors de la société au lieu d’en faire partie.

Que pensez-vous de la montée de l’extrême droite dans vos deux pays, la France et les États-Unis ?

Je l’ai vu monter depuis des années. D’abord en France, avec sa progression très inquiétante et son passage de père en fille. Puis je l’ai vu au pouvoir aux États-Unis avec Trump pendant quatre ans. Ce n’est pas anodin. L’extrême droite érode la démocratie, remet en cause des droits que l’on croyait acquis pour toujours et met en place des politiques qui peuvent vraiment détruire le pays. Beaucoup de gens se sont heureusement ressaisis mais tout le monde ne se rend pas compte du mal que Trump a fait, aux États-Unis, aux droits des femmes et des minorités.

C’est aussi profondément stupide. Par exemple, les Iraniens ont été bannis du pays. Parmi eux, il y avait beaucoup de médecins spécialistes. Des régions entières en ont été privées et des patients ont dû faire 800 kilomètres pour voir un endocrinologue. L’Angleterre est à cran depuis le Brexit. Giorgia Meloni détruit la société italienne. En Hongrie, n’en parlons pas. Je comprends le ras-le-bol, mais Trump n’a eu qu’un effet négatif. Personne n’y gagne, surtout pas ceux qui ont voté pour lui.

Certains pensent que les solutions sont faciles et que si nous chassons tous les étrangers, il n’y aura plus de problèmes. Mais c’est stupide. En Amérique, le vrai problème, c’est le capitalisme dans ce qu’il a de pire. Les gens ne veulent pas l’entendre. Je gagne ma vie, mais des millions de personnes n’ont rien dans cette société où il n’y a pas de sécurité sociale, pas d’aide pour les soins de santé. Certains perdent leur maison parce qu’ils ont dû payer le traitement contre le cancer de leur conjoint. C’est un cauchemar. L’Amérique est entrée dans un système qui s’effondre. Les rues de Los Angeles sont hallucinantes de pauvreté. En fait, je ne vois pas de solution. Mais elle ne réside certainement pas dans le fascisme.

Comment réagissez-vous à la récente dénonciation des violences sexuelles et sexistes dans l’industrie du cinéma ?

Je suis assez étonnée que cela ne soit pas arrivé avant. C’est un cheminement personnel important pour ceux qui l’ont fait. Cette violence m’a toujours horrifiée. Quand j’avais 18 ans, j’en avais parlé dans une interview pour dire à quel point c’était dégoûtant. Le journal, que je ne veux pas nommer, m’a traitée d’actrice bourgeoise moraliste. À l’époque, les médias n’étaient pas prêts à entendre ces histoires.

De génération en génération, beaucoup de gens ont souffert de ce système bien huilé. En m’y tenant, j’en ai payé le prix. Je n’ai pas eu certains rôles. Tout en étant victimes, les femmes ont accepté ce système qui leur a ouvert des portes. J’étais considérée comme une emmerdeuse parce que je n’acceptais pas certaines conditions. Heureusement, cette époque est révolue. J’espère qu’on n’y reviendra pas.

Est-ce pour contourner ce système que vous êtes devenu cinéaste ?

Oui, j’ai préféré écrire plutôt que coucher avec des mecs horribles de trente ans plus âgés que moi. En écrivant des scénarios et en réalisant des films, je suis devenue ma propre muse. Je détestais les réalisateurs qui voulaient un pot vide pour le remplir de leurs fantasmes. Je n’ai pas besoin d’eux pour exister.

Les barbaresde Julie Delpy, 1 h 41, France, en salles le 18 septembre.

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Gérard Truchon

An experienced journalist in internal and global political affairs, she tackles political issues from all sides

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