LA TRIBUNE DIMANCHE – Vous serez aujourd’hui à Arras pour commémorer l’assassinat de Dominique Bernard. Qu’est-ce qui a vraiment changé un an plus tard ?
ANNE GENETET – La laïcité est menacée. Elle a des ennemis. On observe des phénomènes d’entrisme, de prosélytisme dans notre société, parfois même d’autocensure chez nos professeurs. Pourtant, la formation aux enjeux de laïcité initiée par Jean-Michel Blanquer se déploie de plus en plus : sur la seule année scolaire 2023-2024, 267 000 agents du ministère ont été formés. Cela permet de réduire les atteintes à la laïcité et aux valeurs de la République.
Est-ce vraiment lié à la formation, selon vous ?
La formation permet de transmettre la « pédagogie de la laïcité ». Mais le soutien politique aux agents de terrain est également fondamental. Nous l’avons vu sur le port de tenues et de symboles religieux ostensibles, qui a diminué. En septembre 2023, il y a eu au total 838 incidents d’atteintes à la laïcité dans les écoles, collèges et lycées. En septembre 2024, il était de 110 : la baisse est très nette. C’est notamment le résultat de l’interdiction du port de l’abaya et du qamis décidée par mon prédécesseur Gabriel Attal. Cela m’a été dit aussi à Tourcoing cette semaine. Les étudiants sont venus en abaya : cela s’est arrêté d’un coup.
Vous arrivez dans ce ministère au moment où nous rendons hommage à Dominique Bernard, tué il y a un an, et à Samuel Paty, assassiné il y a quatre ans. Considérez-vous aujourd’hui que les enseignants sont en danger ?
Être enseignant ne devrait pas être un métier dangereux. Je connais l’inquiétude de nos professeurs. L’Education Nationale doit les protéger. Je l’ai dit devant les députés à l’Assemblée nationale : je serai toujours à leurs côtés et je ne laisserai rien glisser. Des décisions fortes ont été prises et doivent être poursuivies. Dans la formation initiale des enseignants, je souhaiterais augmenter le volume d’heures consacrées à la laïcité et aux valeurs de la République (36 heures aujourd’hui). C’est une demande du terrain. Les enseignants ont également besoin de nouveaux outils pédagogiques. Il faut veiller à ce que cette formation se poursuive tout au long de la carrière de l’enseignant pour s’adapter aux nouvelles réalités. Le combat pour la laïcité est un combat qu’il ne faut jamais abandonner.
Cette formation est-elle réservée aux enseignants ?
Il s’adresse également à tous les personnels en contact avec les étudiants. Après mes échanges avec la communauté éducative de Tourcoing, j’ai demandé que désormais, à la rentrée, tous les assistants d’éducation et tous les accompagnateurs d’élèves en situation de handicap bénéficient de cette formation. Et s’ils arrivent dans l’année, ils seront formés dans le mois qui suit leur recrutement.
Vous êtes allée à Tourcoing, où une élève a giflé une enseignante qui lui demandait d’enlever son voile. Quel bilan faites-vous de cette situation particulière ?
A Tourcoing, il y a eu un événement déclencheur : une attaque contre la laïcité, résolue par le professeur qui a été témoin de cette attaque. Par la suite, comme le prévoit le règlement intérieur de l’école, l’enseignant a demandé l’identité de l’élève afin de lui imposer des sanctions. Puis l’attaque a eu lieu, que j’ai immédiatement condamnée. Il y a de la violence dans la société mais aussi dans nos écoles. Il ne faut rien laisser passer et j’ai décidé d’apporter des renforts humains au lycée de Tourcoing pour rétablir un climat scolaire apaisé.
L’Éducation nationale ne devrait-elle pas soutenir davantage les enseignants ?
L’institution est très présente. Nos professeurs ont un droit absolu à la protection des autorités académiques. Désormais, un professeur menacé obtient une protection fonctionnelle dans 100% des cas. Quatre mille agents du ministère en ont bénéficié l’année dernière. Mais je sais aussi qu’au moment de porter plainte, un enseignant peut ressentir une forme de solitude et être en état de choc, devant gérer des démarches complexes. Les chefs d’établissement sont invités à accompagner le personnel de leur établissement pour déposer plainte. Pour faciliter davantage le processus, je souhaiterais modifier la loi afin que l’Education Nationale puisse porter plainte contre son agent, ce qui renforcerait la protection que nous devons à nos enseignants. J’en ai parlé avec mon collègue Guillaume Kasbarian, ministre de la Fonction publique, et nous avancerons ensemble pour identifier le véhicule législatif qui permettra de le mettre en œuvre. J’encouragerai toujours les enseignants à parler, entre eux et à leurs supérieurs, dès qu’il y aura des signes avant-coureurs.
L’Éducation nationale va perdre 4 000 postes d’enseignants en 2025. Les syndicats s’insurgent. Pourquoi votre ministère paie-t-il le prix fort ?
Je voudrais donner une certaine perspective. L’école reste la priorité de ce gouvernement et le premier budget du pays. En arrivant dans ce ministère, j’ai trouvé un budget de 62,1 milliards d’euros, soit une augmentation de 14 milliards depuis 2017. Malgré les contraintes budgétaires, je me suis battu pour augmenter les moyens de l’école. J’ai obtenu un budget de 63 milliards d’euros pour 2025. C’est un gain de 834 millions d’euros pour notre école.
Comment expliquer cette réduction des effectifs alors que les besoins restent criants ?
Avec la baisse de la démographie scolaire, il y aura en moyenne 21,4 élèves par classe dans nos écoles publiques à la rentrée 2025 : c’est le plus faible nombre d’élèves par classe depuis que nous le mesurons. Et le débat parlementaire n’a pas encore commencé, il peut encore y avoir des évolutions !
Les députés de gauche promettent de supprimer cette mesure du projet de loi de finances. Les encouragez-vous ?
C’est le rôle des parlementaires de débattre des textes juridiques.
Que dites-vous aux parents qui voient encore des absences non remplacées, des places aux concours non comblées ?
J’entends leur inquiétude. Je tiens à souligner que le ratio d’effectifs à la rentrée 2025 va continuer de s’améliorer, dans les écoles primaires comme dans les collèges et lycées. Il y aura également 2 000 postes AESH supplémentaires dans ce budget pour accompagner les étudiants en situation de handicap. Au-delà des postes, je souhaite aussi améliorer la formation initiale et le recrutement des enseignants, pour rendre le métier plus attractif. J’y travaille avec mon collègue Patrick Hetzel, ministre chargé de l’Enseignement supérieur.
Les suppressions d’emplois accéléreront-elles les fermetures de classes dans les zones rurales ?
Il n’y aura pas de décisions brusques. Ma méthode aura toujours pour objectif de donner de la visibilité aux enseignants, aux parents et aux élus locaux. La carte scolaire ne peut pas être décidée depuis Paris. Il sera travaillé et décidé au niveau des académies, puis école par école, collège par collège et lycée par lycée, afin que les solutions adoptées soient les plus équitables et soient comprises et acceptées.
Le « choc des savoirs » de Gabriel Attal, avec les groupes de besoins en mathématiques et en français pour les classes de sixième et cinquième, est-il voué à s’arrêter ?
Mon objectif est d’élever le niveau de tous les élèves. En 2024, le ministère a obtenu 2 300 postes pour le mettre en œuvre.
Seuls trois étudiants de deuxième année sur quatre ont effectué l’année dernière le stage obligatoire en entreprise. Faut-il revoir le système ?
Je soutiens toute politique qui permet aux jeunes de construire leur parcours professionnel et de comprendre le monde extérieur et le travail. Le stage de deuxième année participe à cela. Plus des trois quarts des étudiants de deuxième année ont pu réaliser un stage d’observation en milieu professionnel en juin dernier. C’est une belle réussite pour une première année de mise en œuvre. Mais il faut faire mieux pour que tous les lycéens puissent faire ce stage et que cette période en entreprise soit la plus riche possible dans leur parcours professionnel. J’en appelle à tous les dirigeants d’entreprises et d’associations : je les encourage à se préparer et à s’organiser pour accueillir les jeunes en juin prochain. L’objectif est de permettre à tous les étudiants de deuxième année d’obtenir un stage utile, sans discrimination.
110 attaques contre la laïcité
110 atteintes à la laïcité ont été recensées en septembre. Il y a un an, après l’interdiction des abaya et des qamis par Gabriel Attal, alors ministre de l’Éducation nationale, ils étaient 838 dans les écoles, collèges et lycées sur le seul mois de septembre 2023, avant un pic le mois suivant : 1 812 faits recensés dans octobre 2023, avant une baisse irrégulière mais nette (590 en décembre 2023, 280 en janvier 2024, 336 en février, 525 en mars, etc.).