« Tu viens avec nous », lui a ordonné la police avant de l’emmener, une semaine après l’élection du 28 juillet.
L’annonce de la réélection de Nicolas Maduro a déclenché des manifestations spontanées, brutalement réprimées. Elles ont fait 27 morts et 192 blessés, selon des sources officielles.
« C’est injuste », s’indigne Sol, la soeur d’Edward. « Je ne peux pas accepter que mon frère, qui est innocent, soit emprisonné. Ce qu’il a fait, c’est dénoncer les irrégularités qui ont été commises », ajoute la femme de 65 ans.
Son frère a été inculpé de « terrorisme, incitation à la haine » et incarcéré dans une prison de haute sécurité. Sol montre des vidéos de l’arrestation : Edward est en tongs, tee-shirt et short, menotté et escorté par quatre agents cagoulés.
« Ils l’emmènent », « salauds », « un jour vous paierez pour ça », crient les voisins depuis leurs balcons.
Le gouvernement, et en particulier Nicolas Maduro, assure que tous les détenus ont été recrutés par l’opposition pour générer de la violence et promouvoir un « coup d’État ».
Plus de 2 400 personnes arrêtées
Les manifestations spontanées ont été rapidement neutralisées par la police, avec plus de 700 arrestations effectuées au cours de la première journée seulement.
Le gouvernement a alors mis en place des canaux de dénonciation des suspects, baptisés « Opération Tun Tun » (toc-toc, le bruit des policiers à la porte). Plus de 2 400 personnes ont été arrêtées, dont plus de 100 adolescents. La plupart sont accusées de terrorisme.
Après les raids, des dizaines de proches se sont rassemblés devant les centres de détention. Les visites sont limitées et les avocats privés sont rares, les autorités exigeant souvent le recours à des avocats commis d’office.
« Persécution massive »
«Les disparitions forcées et les détentions arbitraires sont devenues la nouvelle norme», avec une «série de schémas répressifs», dénonce l’ONG de défense des droits humains Provea. «Nous sommes passés d’une période de persécution sélective à une période de persécution massive», souligne-t-elle.
Nicolas Maduro, pour sa part, assure qu’il protège la population contre les éléments violents et appelle à « l’union civilo-militaire-policière ».
Edward a été transféré à la prison de sécurité maximale de Tocuyito. Comme Tocoron, elle était depuis des années sous le contrôle de bandes criminelles, avant d’être reprise par les forces de sécurité en 2023.
« C’est terrible, mais il faut bouger », confie Sol, qui dit ne pas avoir peur de dénoncer son cas. Elle est l’une des rares à accepter de parler. La plupart de ses proches ont peur et préfèrent garder l’anonymat.
C’est le cas de José, qui estime être confronté à un « niveau de terreur assez élevé ». Il a deux amis en détention, des frères de 23 et 27 ans, qu’il appelle Luis et Carlos (leurs noms ne sont pas réels non plus). « Nous ne savons pas quoi dire, à qui parler », dit-il, admettant craindre les informateurs et les infiltrés de la police.
Luis et Carlos ont manifesté le 29 juillet sur une avenue centrale de la capitale, où des échauffourées ont eu lieu.
« Ils voulaient défendre le droit de vote de manière pacifique », explique José, 31 ans, qui assure qu’ils n’ont pas été violents. La police a défoncé la porte grillagée de leur maison pour les arrêter dans le quartier populaire de La Candelaria.
« Épuisement mental »
Foro Penal, une ONG de défense des prisonniers politiques, tente d’aider des dizaines de personnes : avec l’aide d’avocats, elle offre des conseils gratuits aux proches en détresse.
« C’est affligeant », confie, les larmes aux yeux, la mère d’Adrian, un garçon de 16 ans arrêté par des militaires dans la rue. Comme d’autres, elle a peur de témoigner.
Les réseaux sociaux servent également de vitrine aux témoignages anonymes de Vénézuéliens rongés par la peur.
« J’ai dû payer 750 dollars pour qu’ils ne mettent pas mon fils en prison. Il a 19 ans et veut juste vivre en liberté », raconte l’un d’eux.
Un autre affirme qu’il a l’obligation de dénoncer aux autorités « simplement parce qu’il publie sur (son) Instagram ce qui se passe au Venezuela ». « C’est de l’épuisement mental, du psychoterrorisme, je ne sais même pas comment l’expliquer », dénonce un autre.