Depuis le 1er août, plusieurs aides destinées à faciliter l’accès à l’emploi des personnes handicapées ont été réduites, voire suspendues. L’Agefiph, l’organisme financier, évoque un « imprévu budgétaire ».
« On ne peut pas simplement traverser la rue et demander n’importe quel travail à une caisse ou dans un restaurant. » Si Gabrielle a une ironie mordante, c’est parce qu’elle aimerait travailler. Au-delà de la touche humoristique, elle confie d’une voix douce qu’elle « Je ne tiendrais pas trois jours dans ce genre de travail. » Elle a besoin de conditions de travail adaptées. Mais pour elle, comme pour beaucoup des 6,8 millions de personnes handicapées en France, l’accès ou le maintien dans l’emploi est un parcours du combattant : contrats précaires, situations de travail inadaptées, discriminations à l’embauche… Atteinte d’endométriose hyperalgique, la Val-de-Marnaise souffre de douleurs chroniques « très handicapant »allant jusqu’à déclencher des crises incompatibles avec l’emploi dans une entreprise.
À 36 ans, Gabrielle a décidé de créer sa propre entreprise de création de vêtements, grâce à une aide financière réservée aux personnes handicapées qui créent leur entreprise, et versée par l’Association de gestion du Fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées, l’Agefiph. Problème : depuis le 1er août, cette subvention a été réduite de moitié et sans annonce préalable, en raison d’une « imprévu budgétaire», Selon un bref message publié au milieu de l’été par l’association sur son site internet. Au total, cinq aides accordées par l’Agefiph sont ainsi réduites voire suspendues, jusqu’au 31 décembre 2024. Un coup dur pour les nombreux bénéficiaires. En 2022, selon son rapport d’activité, l’Agefiph avait délivré 105.229 aides financières et prestations à des particuliers ; 2.787 entreprises ont également été accompagnées.
« Nous avons reçu une lettre le 29 juillet au soir nous informant qu’à partir du 1er août, les subventions seront réduites. Cela n’est pas sans inquiéter, comment comptez-vous renverser la situation ? » s’interroge un salarié de la BGE des Hauts-de-France, sous couvert d’anonymat. L’association, qui fait office d’intermédiaire entre les entrepreneurs et l’Agefiph, a par exemple dû dire à Alice que l’aide à laquelle elle avait droit (la même que Gabrielle) était réduite de moitié, tombant à 3.000 euros. « Cette contribution m’aurait permis d’acheter du matériel ergonomique : chaise, écran, souris… Bref, tout ce qui peut faciliter la vie d’un entrepreneur en situation de handicap », dénonce ce communicateur souffrant de troubles cervicaux et auditifs. Le Dunkerquois déplore une décision prise « en douce » et une annonce tardive : « Si j’avais su cela avant, j’aurais pris d’autres mesures. » D’autant que si le montant des aides a diminué, le plafond minimum d’investissement pour les obtenir (7.500 euros) est resté le même. « Si je pars dans ces conditions, je vais droit dans le mur »l’entrepreneur prévient.
« Il sera difficile de convaincre les entreprises d’embaucher »
« Ces aides ont été un levier d’insertion, permettant le financement de postes ou d’aménagements de travail. Sans elles, il sera compliqué de convaincre les entreprises d’embaucher » ajoute Mireille Guérin, psychologue du travail, ancienne salariée d’Arcat, association partenaire de l’Agefiph. Outre les aides à la création d’entreprise, deux mesures incitant les entreprises à embaucher des personnes handicapées sont également réduites : l’aide aux contrats de professionnalisation, qui passe de 5 000 euros maximum à 3 000 euros, et l’aide aux contrats d’apprentissage, qui passe de 4 000 euros maximum à 3 000 euros.
Enfin, l’aide à la recherche et au maintien dans l’emploi est totalement suspendue. Tandis que l’aide liée à l’adaptation des situations de travail des personnes est désormais limitée à 90% du surcoût lié à l’indemnisation du handicap, au lieu d’une prise en charge complète. « Le risque est que les entreprises disent aux candidats : « Désolé, l’Agefiph a réduit les aides, nous ne pourrons donc pas adapter le poste de travail ni acheter le matériel.»« , Gabrielle avance.
Le défi reste de sensibiliser les entreprises, qui ne sont pas toutes conscientes de l’aide et du soutien dont elles peuvent bénéficier : « Certaines entreprises peuvent être bienveillantes, mais elles ne sont pas conscientes et ne connaissent pas leur droit à être soutenues », Mireille Guérin le croit. Sans aménagement des espaces de travail, les situations les plus absurdes peuvent survenir : la psychologue se souvient d’une jeune femme avec qui elle travaillait et à qui son employeur avait suggéré de placer une rame de papier sous ses pieds en guise de siège d’appoint. l’accompagnement de Agefiph entraînera des risques « que de nombreuses personnes cachent leur handicap pour être embauchées et détruisent leur santé pour éviter de se retrouver au chômage », poursuit Mireille Guérin.
Un objectif de plein emploi d’ici 2027
La part des personnes handicapées dans la population active n’a jamais été aussi élevée : 4 %. Mais leur situation reste instable. La durée du chômage est plus longue pour les personnes handicapées et le taux de personnes en recherche d’emploi reste très élevé (12 %), comparé à celui de la population valide (6 %). D’où la nécessité d’un organisme comme l’Agefiph, créée en 1987. Avec un objectif pour 2027 : le plein emploi des personnes handicapées. Un enjeu à l’origine de la convention signée entre l’État et l’Agefiph, qui régit les orientations 2021-2024 de l’association.
« Plus de 113 000 aides et prestations compensatoires ont été accordées en 2023 aux personnes handicapées » explique Didier Eyssartier, directeur général de l’association, qui justifie la décision de les réduire par la forte augmentation des demandes : « Les demandes continuent de croître alors que nos moyens progressent peu. Par exemple, notre engagement en faveur de la création d’entreprises a augmenté de 36% en 2022 et de 27% en 2023, soit plus de 30 millions d’euros engagés sur l’année. »
L’Agefiph est financée principalement par les cotisations versées aux entreprises de plus de 20 salariés qui n’atteignent pas l’objectif d’employer 6 % de travailleurs handicapés. Selon Didier Eyssartier, le credo de l’association est avant tout « pour rendre le monde du travail plus inclusif. Il est important que les politiques de common law intègrent les personnes handicapées, plutôt que d’avoir des systèmes spécifiques. »
Quant à l’annonce tardive, en plein été ? « Nous n’avons pas pu anticiper l’augmentation de l’ensemble des aides, notamment parce que ces dispositifs d’accès à l’emploi et de sécurisation des parcours professionnels sont de plus en plus connus et utilisés. » Pour l’heure, l’association n’a pas précisé si ces mesures de réduction et de suspension des aides se poursuivront en 2025 : « Notre soutien peut changer, mais à ce stade aucune décision n’a été prise », déclare Didier Eyssartier.
Mireille Guérin est furieuse : « Les structures qui accompagnent les personnes en situation de handicap font un reporting mensuel et un prévisionnel en début d’année… J’ai du mal à croire qu’elles n’aient rien anticipé. Dans quelques jours, les Jeux paralympiques sont à Paris, quelle hypocrisie ! D’un côté, on encourage les champions, de l’autre, pour une question de budget, on empêche des gens qui ont toutes les compétences de démontrer leurs qualités. »