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les abstentionnistes peuvent-ils faire basculer les élections ?

Dimanche 9 juin, l’abstention a atteint son taux le plus bas pour des élections européennes depuis trente ans. Un léger bond qui occulte presque le fait que près d’un électeur sur deux (48,5%) ne s’est pas présenté. Le choc créé par la dissolution de l’Assemblée nationale sera-t-il de nature à mobiliser une plus grande part des électeurs les 30 juin et 7 juillet ?

Dimanche, le profil des abstentionnistes a rejoint les grandes tendances des élections précédentes. On constate ainsi plus de 60 % d’abstention chez les moins de 35 ans, contre seulement 29 % chez les plus de 70 ans, selon une enquête de l’institut de sondage Ipsos (1). « Jusqu’à 75 ans, les personnes âgées sont surreprésentées parmi les électeurs. Inversement, les jeunes sont largement sous-représentés. L’âge est l’un des facteurs les plus déterminants dans l’acte de voter »indique Céline Braconnier, directrice de Sciences Po Saint-Germain-en-Laye.

Nous observons également l’influence du niveau de revenu sur la mobilisation électorale. « Il est établi depuis longtemps qu’on a plus tendance à s’abstenir quand on est économiquement fragile et qu’on a un faible niveau d’éducation »confirme le politologue spécialiste de l’abstention.

Des abstentionnistes au profil plus homogène

L’étude Ipsos constate cependant un glissement lors des élections européennes. Ainsi, la proportion d’abstentionnistes parmi les cadres (52%) est presque aussi élevée que parmi les professions intermédiaires (54%) ou parmi les ouvriers (56%). Le niveau d’études ne semble pas non plus être une variable majeure puisque les non-bac+3, « on reste dans une fourchette de participation de 5 points »indique l’enquête.

« Ces abstentionnistes ont des profils inquiétants, ce ne sont plus seulement les jeunes, les moins instruits, les pauvres »observe Vincent Tiberj, politologue. « L’abstention, qui touche très fortement les milieux populaires, s’étend également aux autres milieux sociaux chez les moins de 50 ans. C’est un véritable message envoyé à l’ensemble de l’offre politique. »

« Il ne faut pas prendre les abstentionnistes pour des sans opinion », il insiste. Au contraire, il développe une thèse, celle de « citoyenneté lointaine »ce qui explique le comportement de citoyens éduqués, informés, mais qui restent néanmoins à l’écart du jeu politique. « L’augmentation moyenne du niveau de qualification n’entraîne pas forcément une augmentation de l’engagement électoral, mais peut au contraire conduire à un éloignement de la sphère partisane. » « Parfois, dans des environnements politisés, l’abstention politique peut augmenter », avoue Céline Braconnier. Mais, selon elle, « L’analyse de l’abstention reste très similaire d’un vote à l’autre ».

L’importance d’une campagne claire et aux enjeux élevés

Les deux spécialistes s’accordent sur un point : l’abstention sera l’une des clés du prochain scrutin. « Une élection législative est une élection de premier ordre, qui peut mobiliser davantage les électeurs. La question de l’arrivée au pouvoir du RN peut aussi les faire voter différemment. C’est sûrement ce qu’Emmanuel Macron a en tête »analyse Vincent Tiberj.

« Si la campagne joue son rôle de cristallisation de l’intérêt pour la politique, même les personnes peu politisées peuvent être attirées »ajoute Céline Braconnier. « La campagne qui s’ouvre, totalement inédite par la rapidité de sa mise en œuvre, l’intensité des relais médiatiques et l’enjeu d’un basculement vers un gouvernement d’extrême droite, peut y contribuer. »

 » Donc, elle explique, Lors des élections présidentielles, les jeunes se mobilisent parce qu’ils sont pris dans la campagne. Cela ne fonctionne que lors d’une campagne lisible et de très haute intensité avec des enjeux clairs. » Le politologue met ainsi en garde les opposants du RN contre le risque de« une campagne ratée, brouillée par la désunion politique, qui ne produira pas plus d’abstention, mais certainement pas plus de mobilisation ».

(1) Enquête Ipsos pour France Télévisions, Radio France, France24/RFI, Public Sénat/LCP Assemblée nationale, réalisée du 6 au 7 juin 2024 auprès de 8 923 personnes inscrites sur les listes électorales.

William Dupuy

Independent political analyst working in this field for 14 years, I analyze political events from a different angle.
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