l’ère des prix négatifs commence
Après l’envolée exceptionnelle des prix de l’énergie pendant la crise, un nouveau phénomène inquiète les professionnels du secteur : celui des prix négatifs. Et pour cause, alors que le monde installe de plus en plus d’énergies renouvelables intermittentes, dont la contribution au réseau dépend de la météo, l’électricité devient surabondante à certaines heures de la journée, en fonction du vent et du soleil. .et vice versa lors des pics de consommation. Ce qui fait que les prix varient considérablement, devenant de plus en plus volatils. Ainsi, ce lundi 1er avril, alors que le vent soufflait copieusement, les prix sont devenus négatifs en France à partir de 14 heures, en raison d’une offre excédentaire d’électricité par rapport à la demande.
En réponse, de nombreux champs d’éoliennes se sont découplés du réseau, cette source d’énergie passant de 10 gigawatts (GW) à seulement 5 GW en quelques minutes seulement, selon les données du Réseau de transport d’électricité (RTE) ! Et ce n’est pas forcément une bonne nouvelle pour le consommateur.
Prime d’arrêt
En effet, l’électricité ne pouvant être stockée à grande échelle, les prix peuvent tomber en dessous de zéro en période de forte production d’énergies renouvelables et de faible consommation, lorsque des actifs inflexibles (comme les centrales électriques au gaz et, dans une moindre mesure, les centrales nucléaires) soumettre des offres négatives pour éviter les frais de redémarrage.
» Tout comme une éolienne est quasiment « ON/OFF », si l’on arrête d’autres installations, comme les centrales au gaz, au charbon ou nucléaires, il n’est pas facile de les faire redémarrer. Ainsi, s’ils ne peuvent réduire leur production pour des raisons techniques, économiques ou de sécurité, ils préféreront payer pour continuer à produire. », précise à La galerie Mathieu Pierzo, directeur des marchés de l’électricité à RTE.
Habituellement, en France, c’est principalement le nucléaire qui réduit la voilure pour éviter ce phénomène, et absorbe les pertes par modulation. Mais ce retrait a des limites :
« Une centrale nucléaire peut réduire sa production jusqu’à un certain point, mais aller jusqu’à l’arrêt est compliqué et nécessitera des délais plus longs pour la redémarrer. L’opérateur va donc payer quelqu’un sur le marché pour prendre cette énergie, afin d’éviter de couper sa centrale électrique », explique Corentin Sivy, directeur stratégie et commercial chez l’opérateur de parcs d’énergies renouvelables BayWa.re France. .
Or, dans ce scénario, ce sont les producteurs d’énergies renouvelables qui doivent réduire leur production. En effet, tous les exploitants de champs éoliens et solaires qui sont sous contrat avec l’État (c’est-à-dire la grande majorité d’entre eux) doivent s’adapter. » SIls peuvent démontrer qu’ils n’ont pas injecté dans le réseau pendant des heures de prix négatifs (ce qui arrive une centaine d’heures par an, ndlr), le contrat indique qu’ils seront rémunérés pour cela. C’est ce qu’on appelle une prime de départ. », explique-t-on chez RTE. L’idée est de freiner l’excès d’électricité afin de maintenir l’équilibre.
La seule chose est qu’avec la pénétration toujours plus forte de ces énergies, cette situation se produira de plus en plus fréquemment. Donc, » ce système finira par être remis en cause car il couvrira des volumes importants », estime Corentin Sivy. » Ce que le consommateur gagne lorsque les prix sont négatifs, il le perdra par compensation pour le producteur. Ce dernier vendra d’ailleurs toujours au même prix quels que soient les prix du marché, puisque l’Etat lui verse la différence entre ces prix et un niveau prédéfini dans le contrat. », ajoute l’économiste Jacques Percebois, spécialiste du marché de l’électricité.
Principe du coût marginal
Surtout, le phénomène soulève des questions sur l’avenir même de ce fameux marché de l’électricité en Europe. Car cela rendra difficile le financement des moyens de production nécessaires en période de pointe, essentiellement le gaz. » Avec des prix négatifs à certaines périodes, il sera de plus en plus compliqué de les rentabiliser. C’est le vaste sujet qui nous agite tous », souligne Corentin Sivy.
Pour le comprendre, il faut se pencher sur le fonctionnement de ce marché. Concrètement, cela obéit au principe du coût marginal : pour répondre à une demande qui varie à tout moment, les centrales sont appelées dans l’ordre croissant de leurs coûts d’exploitation, qui dépendent largement du prix du combustible. Et dans ce système d’enchères perpétuelles, le prix final du mégawattheure (MWh) s’aligne sur celui de la dernière centrale électrique appelée sur le Vieux Continent, c’est à dire la plus chère (souvent une centrale à gaz).
« Il est évident qu’un propriétaire d’une usine à gaz ne la déclarera disponible que si elle ne fonctionne pas à perte. C’est pourquoi le prix de l’électricité doit être basé, heure par heure, sur le fonctionnement d’une centrale à gaz si j’en ai besoin à ce moment-là. A cette époque, toutes les autres centrales dont les coûts d’exploitation sont moindres bénéficient donc d’une rente infra-marginale, que l’Etat veut capter. », note Jacques Percebois.
La seule chose est que si demain, pour des raisons écologiques, il n’y a plus de centrales au charbon et presque plus de centrales au gaz, ce modèle ne fonctionnera plus. « En France, la centrale marginale sera le nucléaire. Ses coûts variables sont cependant faibles, de l’ordre de 15 euros par MWh. En vendant son électricité, l’opérateur récupérera donc ces coûts d’exploitation, mais pas les coûts fixes, bien plus élevés. Cela risque donc de se transformer en perte ! », poursuit l’économiste.
Conscient de ce problème, le gouvernement français s’est également battu pour revoir le marché européen de l’électricité, afin de pouvoir gérer les prix du nucléaire, en les protégeant contre ces risques de marché.
« C’est le gros problème du marché basé sur le coût marginal : comme il ne fonctionne pas bien parce que les prix sont parfois trop élevés, parfois trop bas, il nécessite des correctifs. Et ce, pour aider certaines énergies lorsque les prix sont trop bas, comme les subventions aux renouvelables et peut-être demain pour le nucléaire, et pour récupérer les rentes lorsqu’elles sont trop élevées », poursuit Jacques Percebois.
Mais cette réforme ne remet pas en cause le principe du coût marginal. A tel point que, lorsque les quelques centrales au gaz seront appelées à atteindre leur maximum (car elles ont l’avantage d’être facilement pilotées à la hausse), les prix risqueront de varier extrêmement. En Allemagne, qui a décidé de s’éloigner de l’atome civil, la question se fait de plus en plus pressante. « Aux heures où il n’y aura pas assez d’énergie renouvelable pour répondre à la demande, l’électricité y coûtera peut-être 300 à 400 euros par MWh. », glisse officieusement par un haut responsable du secteur de l’énergie.
Abaisser, éteindre, décaler
C’est aussi pour cela que RTE espère lisser la pointe. Et cela grâce à ce que nous appelons la « flexibilité de la demande ». » Plus nous pouvons réorienter la consommation pour la mettre en avant de ces heures de production à haute teneur en carbone, mieux c’est. Nous devons réfléchir aux signaux de prix », souligne Mathieu Pierzo. Cela repose donc en partie sur un changement de comportement des utilisateurs, qui peut contribuer à « Gérer les bosses et les vallées » de la production en déplaçant leur consommation.
Lequel pourrait « réduire le coût global du système »déjà expliqué en octobre à La galerie le président de RTE, Xavier Piechaczyk. Cette nouvelle façon de consommer de l’électricité ne peut se généraliser que grâce à des incitations financières, à l’image du système de tarifs pointe et heures creuses mis en place il y a quarante ans pour inciter les Français à activer leur électricité. eau chaude la nuit.
« Aujourd’hui, c’est bien ancré dans les esprits, mais ce n’est pas suffisant, dans le sens où de nombreux Français ne sont toujours pas sur ce système », prévient le patron de RTE. Ce dispositif concerne environ 15 millions de consommateurs sur une base de 39 millions. Nous pourrions faire beaucoup mieux», soulignait Xavier Piechaczyk en octobre.
Mais pour l’instant, cette voie n’est pas privilégiée par le gouvernement. En février, elle a décidé de porter la taxe intérieure sur la consommation d’électricité (TICFE) à 21 euros par MWh, après l’avoir abaissée à 1 euro par MWh pendant la crise. C’est aussi l’augmentation de cette accise qui explique la hausse de 10 % des prix pour les particuliers au 1er février. Or, cela s’applique à tous au même niveau quel que soit le moment de consommation ; une philosophie très éloignée de celle prônée par RTE.