« Dérives systématiques » coûts et délais de chantier, « mauvaise rentabilité » de laREP de Flamanville, « accumulation de risques et de contraintes (qui) pourraient conduire à l’échec du programme EPR2 »… La Cour des comptes a présenté à la presse un rapport salé sur le secteur REPMardi 14 janvier à Paris.
Elle livre notamment une nouvelle évaluation à la hausse du coût total desREP de Flamanville, désormais estimé à 20,4 milliards d’euros (en valeur 2015), soit 1,3 milliard de plus que son estimation 2020. L’estimation initiale était de 3,3 milliards d’euros, soit six fois moins que ces 20,4 milliards.
Dans leur rapport 2020, les magistrats de la rue Cambon avaient demandé EDF calculer la rentabilité prévisionnelle duREP de Flamanville, quoiEDF refusé de faire « délibérément et avec persistance ».
La rentabilité duREP de Flamanville atteindrait 2 %
En conséquence, ils ont eux-mêmes sorti les calculatrices. En supposant une durée de vie de soixante ans, un facteur de charge (le rapport entre l’énergie réellement produite et celle qu’elle aurait produite si elle avait fonctionné à sa puissance nominale) (1) — de 85 % et un prix de vente de 90 euros le mégawattheure, la rentabilité duREP de Flamanville atteindrait 2 %.
« Il est inférieur au coût du capital quiEDF a été tenue de prendre des engagements, que ce soit par le biais de capitaux propres ou de dettes. Un projet dont la rentabilité est inférieure à son coût d’emprunt est problématique. Ce n’est pas rentable »» a décidé un magistrat lors du point presse. L’REP de Flamanville a été raccordé au réseau le 21 décembre, avec douze ans de retard.
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Retards sur les chantiers internationaux
Les projets réalisés par EDF hors des frontières françaises, il n’y en a quasiment plus. Dans leur rapport, les magistrats de la Cour des comptes mettent en garde contre « des écarts systématiques par rapport aux chantiers en termes de coûts et de délais »qu’ils soient en Chine (Taishan), en Finlande (Olkiluoto) ou en Grande-Bretagne (Hinkley Point et Sizewell). Ils se sont attardés sur l’épreuve du chantier des deux REP de Hinkley Point, Royaume-Uni.
« L’estimation du coût de réalisation d’Hinkley Point a été augmentée de 30 % entre juin 2022 et janvier 2024, pour atteindre entre 31 et 34 milliards d’euros en valeur 2015, a relevé Pierre Moscovici, premier président de la Cour des comptes. Par ailleurs, l’objectif de mise en service a de nouveau été repoussé entre 2029 et 2031, après avoir déjà été décalé de 2022 à juin 2027. » Des dérapages qui, couplés au départ du groupe chinois CGNréduit les résultats deEDF en 2023.
En conséquence, la Cour des comptes recommande « ne pas approuver une décision finale d’investissementEDF dans (la nouvelle centrale nucléaire britannique proposée) Sizewell C avant d’obtenir une réduction significative de son exposition financière dans (la centrale électrique britannique en construction) Hinkley Point C ». Dubitatif face à l’acharnement desEDF pour remporter l’appel d’offres pour la construction de quatre réacteurs à Dukovany en République tchèque, il recommande « veiller à ce que tout nouveau projet international dans le domaine nucléaire génère des gains chiffrés et ne retarde pas le calendrier des programmes EPR2 En France ».
Financement incertain
Annoncé en 2022 par Emmanuel Macron, ce programme EPR2 Le français consiste en la construction de trois paires deREP « nouvelle génération » à Penly (Seine-Maritime), Gravelines (Nord) et Bugey (Ain), éventuellement complétés par quatre autres couples. A peine lancé, il voit déjà ses coûts estimés dériver.
« En février 2022, le gouvernement faisait état d’un coût de construction de 51,7 milliards d’euros en valeur 2020 dans le scénario médian dit « du jour au lendemain », c’est-à-dire hors coûts de financement. L’actualisation du chiffrage présentée en décembre 2023 suggérait un coût de 67,4 milliards d’euros en valeur 2020, soit une augmentation de 30 %. % à conditions économiques inchangées et hors effet de l’inflation »a noté M. Moscovici, qui parle d’un coût « susceptible de dépasser les 100 milliards d’euros ». EDF devait livrer une nouvelle estimation du coût du projet fin 2024, ce qui n’a pas été fait.
« Retard dans la conception, absence de devis complété et de plan de financement »
Déjà, la mise en service éventuelle du premier couple a été repoussée entre 2039 et 2044. Côté financement, l’incertitude est grande. Dans l’attente d’un engagement de l’Etat, EDF prévu de baisser le budget 2025 alloué aux travaux préparatoires de ses six futurs EPR2 de 2 milliards d’euros à 1,1 à 1,3 milliard d’euros, révèle le quotidien Les échos.
Pour les magistrats de la rue Cambon, il est urgent… de ne pas se précipiter. « Le programme EPR2 restant marqué par un retard de conception, une absence de devis réalisé et de plan de financement alors queEDF reste très lourdement endetté »lit-on dans le rapport.
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Dans sa réponse, le ministère de la Transition écologique a approuvé la recommandation de la Cour des comptes de sécuriser le financement de EPR2 avant de prendre la décision finale d’investissement. Il défend en revanche le lancement de projets internationaux : « Cela ne devrait pas êtreEDFet plus largement le secteur industriel français, est privé d’opportunités d’exportation. »
Interrogé par Reporterre, EDF contredit également la Cour des comptes en assurant que « les perspectives de développement hors de France contribuent directement à la compétitivité du programme et apportent des bénéfices à la construction en série ».
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