La fresque est superbe. Émouvante par son romantisme. Étourdissante par l’éclat des couleurs quand on sait qu’elle a été peinte il y a plus de 3 300 ans. Elle orne les murs d’un tombeau découvert par hasard à la fin du XVIIIe siècle dans la Vallée des Nobles, dans l’antique nécropole de Thèbes, en face de la ville historique de Louxor, au bord du Nil. Son propriétaire, Néferhotep, haut dignitaire de la XVIIIe dynastie, scribe du dieu Amon, est représenté dans un jardin luxuriant offrant un bouquet à sa femme, Mérith Rê, chanteuse de la même divinité.
Pendant vingt-quatre ans, cette merveille est restée cachée aux yeux du public. Le temps de rénover le site, de déchiffrer les hiéroglyphes, mais aussi de nettoyer les murs au laser sans altérer la splendeur des peintures. Et fin février 2024, de hauts responsables égyptiens, des archéologues de renom, un ambassadeur et de nombreux journalistes ont été invités à découvrir ce joyau préservé.
Les dirigeants égyptiens n’ont pas toujours bonne presse. Les pharaons, eux, sont tous des héros. C’est pourquoi l’Egypte est passée maître dans l’art de mettre en valeur son fabuleux passé, moteur de son économie depuis le milieu des années 1970, lorsque Le Caire a levé les restrictions de visa pour la plupart des ressortissants occidentaux. En 2010, le pays a battu un record avec 14,7 millions de touristes attirés par les merveilles de Gizeh, Louxor et la Vallée des Rois.
Depuis, ce précieux fonds de commerce n’a pourtant cessé de s’effriter au rythme des crises qui ont frappé. Les émeutes du Printemps arabe en 2011, le crash d’un avion russe dans le Sinaï en 2015, et une vague d’attentats entre 2016 et 2018 ont effrayé les voyageurs. Enfin, la pandémie de Covid-19 a réduit de moitié les revenus du tourisme lors de la saison 2020-2021. Avant que le conflit israélo-palestinien ne revienne sur le devant de la scène suite aux massacres perpétrés en Israël le 7 octobre 2023 par les islamistes du Hamas et à la guerre qui fait rage à Gaza depuis.
Les autorités du pays n’ont pas toujours bonne presse, mais les pharaons, oui !
Parce que les autorités du Caire comptent plus que jamais sur le tourisme – 11 % du PIB – pour relancer une économie exsangue, le gouvernement du général Al-Sissi mise sur la « pharaomanie », instrument de son soft power, et sort le grand jeu : multiplication des chantiers de fouilles, ouverture de nouveaux sites historiques et musées, au premier rang desquels le Grand Musée égyptien à l’ombre des pyramides de Gizeh, dont l’inauguration, sans cesse repoussée, tient le monde en haleine depuis des années. Le suspense est d’ailleurs le maître mot de la tactique égyptienne. Il ne se passe pas une semaine sans que le ministère du Tourisme et des Antiquités – ce n’est pas un hasard si les deux entités ont fusionné fin 2019 – n’annonce un nouveau développement dans les recherches archéologiques : le tombeau de Néfertiti, la cité engloutie de Thônis-Héracléion, ou le tunnel secret de la pyramide de Khéops sont les stars de feuilletons savamment orchestrés par le gouvernement pour que l’Egypte fasse régulièrement la une de l’actualité : les équipes d’archéologues sont toujours priées d’attendre le feu vert du ministère avant de publier les résultats de leurs fouilles.
La communication, quant à elle, aurait sans doute ravi Khéops et Cléopâtre, qui, à 2 500 ans d’intervalle, avaient le goût du faste. La parade dorée des pharaonsEn avril 2021, un spectacle monumental dans les rues du Caire avait pour but, entre autres, de rappeler aux visiteurs tenus à l’écart par la pandémie de Covid-19 l’Égypte : 22 momies de souverains illustres, dont Ramsès Ier, Séthi Ier et Hatchepsout, ont été transférées, dans des chars construits sur mesure, de l’ancien Musée égyptien de la place Tahrir, inauguré en 1902, vers leur nouvelle demeure, le tout nouveau Musée national de la civilisation égyptienne, à six kilomètres de là. Le défilé, avec figurants costumés, danseurs, gardes montés et spectacles de lumière, diffusé en direct à la télévision nationale, a également été retransmis par 400 chaînes à travers le monde et sur la chaîne YouTube du ministère du Tourisme et des Antiquités. Le président al-Sisi a été vu en train d’accueillir les momies des rois et reines de l’Égypte antique dans leur nouvelle demeure.
La vallée du Nil continue aussi d’offrir à l’Egypte un flot intarissable de « nouveautés » vieilles de plusieurs millénaires. A commencer par le vaste plateau désertique où se trouve la nécropole de Saqqarah, à une vingtaine de kilomètres au sud des pyramides de Gizeh, explorée depuis le XIXe siècle. La pyramide à degrés de Djéser, la toute première construite en Egypte il y a 4 700 ans, surplombe le paysage. Tout autour, des vestiges très endommagés de temples et de pyramides effondrées. Ici et là, des équipes d’archéologues et d’ouvriers armés de pelles et de brouettes sont à l’œuvre. Au nord-est de la pyramide, une douzaine de marches s’enfoncent sous terre et mènent au tombeau d’Ouahtye, un prêtre de haut rang qui a servi le pharaon Néferirkarê Kakaï, il y a environ 4 500 ans. Le tombeau a été découvert en 2018. Il mesure dix mètres de long, trois mètres de large et trois mètres de haut. Les murs sont couverts de sculptures représentant le prêtre, sa mère Meritmin et son épouse Oueretptah, ainsi que de nombreuses inscriptions et peintures représentant des scènes de leur vie quotidienne. Cinq puits creusés dans le sol contenaient leurs ossements ainsi que ceux des quatre enfants du couple. La tombe ne peut être visitée qu’avec une autorisation spéciale du ministère du Tourisme et des Antiquités, mais, signe de la modernisation de la politique culturelle de l’Égypte, un fac-similé en 3D est disponible en ligne.
50% des vestiges restent encore à découvrir
Depuis l’ouverture de cette tombe très bien conservée, les découvertes se sont poursuivies à Saqqarah. Des dizaines de sépultures supplémentaires, réservées à des personnages de la haute société, ont été identifiées. Des caches contenant des animaux momifiés, dont des dizaines de chats, des scarabées, des cobras, des crocodiles et même deux lionceaux, ont été exhumées. En six ans, quelque 400 sarcophages contenant des momies humaines, ainsi que des centaines de statuettes de divinités en bois et en bronze, des masques funéraires en or et des papyrus contenant des versets de la mythologie grecque. Livre des mortsont été exhumés. En 2023, deux ateliers d’embaumement de la 30e dynastie (380 à 343 av. J.-C.) ont même été localisés, avec des lits de pierre sur lesquels les défunts étaient momifiés.
Et selon les archéologues égyptiens, la situation est loin d’être terminée. « Quand j’étais étudiant dans les années 1990, nos professeurs nous disaient que 70 % des vestiges restaient à découvrir », explique Tarik Tawfik, professeur d’archéologie, président de l’Association internationale des égyptologues et vice-président du comité égyptien du Conseil international des musées. « À l’époque, cela semblait exagéré. Mais après 30 ans de carrière, je pense qu’il en reste au moins 50 %. »
De quoi continuer à alimenter la machine médiatique pendant encore quelque temps. Aujourd’hui, les recherches sont menées par 240 équipes étrangères venues de 25 pays, mais aussi, nouveauté majeure, par 50 équipes égyptiennes pilotant leurs propres projets. Depuis dix ans, le nombre d’experts égyptiens augmente grâce à une politique volontariste. Depuis 2022, chaque région dispose de sa propre faculté d’archéologie. « Celle du Caire compte à elle seule 600 étudiants », confirme Tarik Tawfik. D’autres métiers, comme ceux de restaurateurs d’objets ou de guides touristiques, sont en plein boom. C’est aussi le cas de celui d’ingénieur spécialisé dans le patrimoine historique, exercé par Yasser Elshayeb. L’homme est de plus en plus souvent appelé sur des chantiers, pour éviter que des sites, encore en construction ou en cours de dégradation, ne s’effondrent sur la tête des archéologues ou des visiteurs déjà invités à les admirer.
Mais où est le tombeau de Néfertiti ?
Les débats font rage autour de la tombe de l’épouse d’Akhenaton : contrairement à celles d’autres souverains de l’époque, elle n’a pas été retrouvée. • Ces chercheurs pensent qu’elle se situe entre Memphis et Thèbes, où le pharaon Akhenaton (XVIIIe dynastie) avait établi sa capitale. • En 2003, l’égyptologue anglaise Joann Fletcher affirmait que la Jeune Dame, une momie découverte en 1898 dans la Vallée des Rois, était celle de la reine. Sans pouvoir le prouver. • Depuis dix ans, un autre expert britannique, Nicholas Reeves, cherche une chambre secrète dans la tombe de Toutankhamon où reposerait la momie de Néfertiti. Les relevés radar n’ont rien donné. • En 2022, l’égyptologue Zahi Hawass a assuré qu’une momie de la Vallée des Rois était celle de Néfertiti. Aucune publication n’est encore venue étayer sa thèse.
Des découvertes fragiles face au climat et au surtourisme
Sur les hauteurs du plateau de Saqqarah, à l’ombre du musée Imhotep, inauguré en 2006 mais qui vient tout juste de rouvrir au public après avoir modernisé toute sa scénographie, Yasser Elshayeb se dit inquiet. Il y a selon lui une incohérence à vouloir mettre toujours plus de sites au jour dans le seul but d’attirer toujours plus de touristes : exhumer des restes, c’est les mettre en danger. « Généralement quand on les trouve, les tombes sont en bon état, car elles sont protégées sous terre depuis des milliers d’années, explique-t-il. Mais à l’air libre, elles sont attaquées par l’humidité. » D’abord à cause du changement climatique : il pleut de plus en plus en Egypte. Ensuite, à cause de la croissance rapide des villes, qui se rapprochent de plus en plus des sites : leurs eaux usées acides augmentent l’humidité du sol et attaquent le calcaire.
Autre problème : les touristes eux-mêmes. « En respirant, les visiteurs rejettent une humidité quasiment impossible à évacuer, poursuit Yasser Elshayeb. D’où la nécessité de nettoyer régulièrement l’intérieur des pyramides. » La seule solution : éviter la surpopulation. C’est pourquoi la grande pyramide de Khéops à Gizeh, avec son réseau de couloirs et de tunnels, ses trois chambres funéraires et sa chambre du roi contenant le sarcophage du pharaon, n’est ouverte que le matin.
L’ingénieur se dirige vers le Sérapéum de Saqqarah, une nécropole au nord-ouest de la pyramide de Djéser, dédiée à Apis, un taureau vénéré comme un dieu. À douze mètres sous terre, c’est un univers de science-fiction. Sur 200 mètres, un tunnel se déploie, baigné d’une lumière verdâtre. De chaque côté de ce couloir, des dizaines de caveaux ont été creusés dans la roche. La plupart contiennent de gigantesques sarcophages de pierre noire, longs de quatre mètres et larges de deux mètres. Une soixantaine de taureaux auraient été enterrés ici, mais seuls deux d’entre eux ont été retrouvés dans leurs sarcophages en bon état en 1851. Ce que Yasser Elshayeb désigne, ce sont des fissures qui se frayent un chemin dans la roche et des morceaux de calcaire qui se détachent des parois.
➤ Article publié dans le Magazine GEO n°547, L’Egypte réveille ses pharaons, à partir de septembre 2024.
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