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Le romancier Marcel Pagnol et son épouse Jacqueline en juillet 1970, en Provence.
ENVIRONNEMENT – « Je suis né dans la ville d’Aubagne, sous le Garlaban couronné de chèvres. » Marcel Pagnol est décédé il y a 50 ans, le 18 avril 1974, mais a laissé derrière lui Souvenirs, une série de quatre romans autobiographiques, qui raconte ses étés passés dans la région d’Aubagne, au début du XXe siècle. Avec son amie Lili, il chassait la perdrix dans le massif du Garlaban et les collines verdoyantes qui l’entourent. Un paysage qui a beaucoup changé aujourd’hui.
« Sur les plateaux de garrigue, thym, romarin, cade et kermès gardent leurs feuilles éternelles autour de l’aspic bleu », écrit Marcel Pagnol, contemplatif, dans Le château de ma mère. Cette flore luxuriante qui s’épanouit sur des terres arides et calcaires persiste, mais elle est peu à peu rongée par la forêt, explique le HuffPost Thierry Gauquelin, professeur émérite de l’Institut méditerranéen de la biodiversité et de l’écologie marine et continentale (IMBE).
Les pins d’Alep colonisent la garrigue
Jusqu’en 1920-1930, lorsque Marcel Pagnol tourne Angèle (1934), » les personnages évoluaient dans la garrigue, un milieu de petits arbustes bas, dans lequel il était très facile de se promener pour chasser », poursuit celui qui travaille depuis plus de quarante ans sur le fonctionnement des écosystèmes forestiers.
Sans disparaître, la garrigue a été en partie remplacée par des pins d’Alep, espèce pionnière du bassin méditerranéen, comme vous pouvez le voir sur la photo ci-dessous. « Ce phénomène est provoqué par l’abandon pastoral et agricole », précise Thierry Gauquelin. Tout simplement, à mesure que les hommes et leurs troupeaux quittent les massifs, les espèces endémiques ont repris la place qui leur revient. Avec cette densité forestière, « pas sûr que Pagnol reconnaîtrait tous les lieux emblématiques de son enfance »insiste le chercheur.
Thierry Gauquelin
Recolonisation de la garrigue par le pin d’Alep, massif du Garlaban.
Sur cette autre illustration, on peut voir, à gauche, la végétation près du pont de l’Etoile, à Aubagne, dans les années 1950. Et à droite, une photo prise en 2024, montrant la recolinisation de l’espace par la pinède.
IGN « Remontez le temps »
A gauche, la végétation près du Pont de l’Etoile, à Aubagne, dans les années 1950. A droite, une photo prise en 2024, montrant la recolinisation de l’espace par la pinède.
L’effet des sécheresses sur la disparition de certains arbustes ne doit pas non plus être pris à la légère, note le paléoclimatologue Antoine Nicault. Une analyse partagée par Thierry Gauquelin, qui s’exclame : « En 2023, nous avons eu une sécheresse toute l’année, il est tombé autant de pluie à Marseille qu’à Marrakech ! « .
Et le chercheur Antoine Nicault tire les conséquences des étés extrêmes de 2022-2023 : « Certaines espèces exposées sur les crêtes du massif du Garlaban, comme le romarin, n’ont pas résisté à la combinaison canicule et manque de précipitations ». Marcel Pagnol serait bien triste de ne plus pouvoir se détendre « parmi le thym, le romarin et la lavande, au chant des grillons et des cigales, sous le ciel bleu éclatant (…) »comme il l’a écrit.
Une faune qui change sur ses collines
Dans les livres de Pagnol, on voit, mais on entend aussi la nature. « Les cigales chantaient très fort grâce à leurs tympans très secs. Ils étaient des centaines (…) »décrit Marcel Pagnol dans Temps d’amour. S’ils frappent encore de leurs cymbales dans le massif du Garlaban, l’insecte emblématique de Provence a, ces dernières années, décalé parfois ses vocalises. Mi-août 2022, l’agroclimatologue Serge Zaka expliquait sur France 3 qu’à cause des températures trop élevées, leurs œufs avaient éclos plus tôt, et les cigales s’étaient mises à chanter au printemps et s’étaient tues fin juillet. Certains étés, le petit Pagnol aurait donc été privé d’un mois entier de symphonie.
Sur les sentiers escarpés de son enfance, celui qui n’était pas encore écrivain s’amusait aussi à guetter la couleuvre à collier de Montpellier ou le lézard ocellé. Des reptiles qu’il rencontrerait moins. « Ce lézard accrocheur est absolument magnifique. Il peut mesurer jusqu’à 50 centimètres de long. C’est une espèce typique de garrigue que l’on rencontre rarement en forêt., précise à ce propos Thierry Gauquelin. Idem pour les perdrix, ces oiseaux que Pargnol chassait avec son amie Lili ou son oncle Jules : « ce sont aussi des espèces qui préfèrent les milieux ouverts plutôt que fermés comme la forêt ». Quant aux faucons pèlerins qui survolaient ses séjours de chasse, ils ont quasiment été rayés de la carte dans les années 1970.
Les étés « sans fin », bientôt une réalité ?
Quand on suit les aventures de Marcel Pagnol, on ressent aussi la chaleur de l’été, celle qui assomme, qui oblige à fermer les volets et à faire une sieste l’après-midi. L’auteur ne mentionne jamais les températures, mais les données scientifiques nous apprennent que les étés à Aubagne sont aujourd’hui beaucoup plus chauds qu’au XXe siècle.
« En cent ans, le climat s’est réchauffé de près de 2 degrés en Provence, contre 1,1 degré dans le reste du monde », explique le docteur en biologie Antoine Nicault. Le bassin méditerranéen est en effet l’un des points chauds de la planète, sa géographie entre vents et montagnes, modifie la circulation de l’air, et rend le climat plus sec et plus chaud.
Summers décrit comme « interminable » de l’écrivain devient année après année une image plus si éloignée de la réalité. « La chaleur se fait de plus en plus tardive en automnesouligne Antoine Nicault sur ce point. Et la rentrée scolaire de septembre à Pagnol serait marquée, certaines années, par des canicules. »
« Dans 30 à 40 ans, le climat se réchauffera encore de 2 degrés » poursuit le spécialiste en dendrochronologie, avec pour conséquence « des écosystèmes profondément perturbés ». En raison de l’accélération du changement climatique dans les vingt prochaines années, entraînant des canicules jusqu’à 50 degrés, des sécheresses de plusieurs années et des méga incendies, les paysages de Marcel Pagnol dans les garrigues provençales pourraient bien devenir lointains. Souvenirs.
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