L’écrivain franco-algérien Boualem Sansal, 75 ans, a été arrêté samedi 16 novembre à son arrivée à l’aéroport d’Alger en provenance de Paris, assurent plusieurs sources. Mondeconfirmant les informations données par Marianne. Il aurait été arrêté par des membres de la Direction générale algérienne de la sécurité intérieure (DGSI) et devrait être présenté peu de temps devant le procureur de la République, rapportent les mêmes sources. Les Editions Gallimard, son éditeur, affirment « très inquiet », M. Sansal n’a donné aucune nouvelle et est resté injoignable depuis plusieurs jours.
« On pensait que son téléphone portable avait été confisqué par les autorités à son arrivée à l’aéroport d’Alger.explique à Monde son ami Xavier Driencourt. Mais il n’a répondu ni à ses mails, ni à son WhatsApp ni à son téléphone fixe chez lui. » L’ancien ambassadeur de France à Alger (2008-2012, 2017-2020) raconte avoir dîné la veille avec l’auteur. « Il est rentré chez lui sur un vol Air France le lendemain. Il n’était pas inquiet. »assure M. Driencourt.
Les raisons de l’arrestation de l’écrivain sont pour l’instant encore inconnues. Ingénieur, formé à l’Ecole Polytechnique d’Alger, il a été haut fonctionnaire et a occupé le titre de directeur général de l’industrie et de la restructuration, jusqu’à ce qu’il soit démis de ses fonctions en 2003. Depuis, il se consacre à l’écriture, il s’efforce de aller à contre-courant de la plupart des tabous et préjugés de la société algérienne, où l’effervescence intellectuelle et politique des premières années d’indépendance a laissé place à la marginalisation et à la répression des opinions déviantes, depuis le coup d’État du colonel Houari Boumédiène en 1965 et la prise du pouvoir par les militaires.
Raideur des autorités
Ainsi, dans son premier livre, Le serment des barbares (Gallimard, 1999), il tente de comprendre les mentalités qui ont poussé ses compatriotes dans la guerre civile meurtrière de la « décennie noire » (1992-2002). Dans Le village allemand (Gallimard, 2008), il a mis au jour la question des relations troubles entre le nazisme et certains mouvements de lutte contre la colonisation. De même, il n’a pas hésité à se rendre en Israël en 2012 ou à entretenir des relations avec des écrivains israéliens, comme David Grossman. Il a soutenu le Hirak, le mouvement de protestation contre la candidature du président Abdelaziz Bouteflika à un cinquième mandat (2019), et a protesté contre le sort réservé aux migrants par son gouvernement.
Boualem Sansal a toujours tenu à rester en Algérie, dans la ville de Boumerdès, à une cinquantaine de kilomètres à l’est d’Alger, où, jusqu’alors, il n’avait pas été inquiété par les autorités. Ses livres n’étaient pas interdits dans le pays. Selon nos informations, il se trouvait en Algérie le 5 novembre et a pu quitter le pays sans difficulté. Son arrestation semble confirmer un durcissement des autorités, peut-être lié à ses déclarations controversées dans les médias. Frontières sur YouTube, largement relayée par les médias marocains.
Ses propos ont-ils « porté atteinte à l’intégrité territoriale » ?
La France, a-t-il expliqué, n’a pas colonisé le Maroc, « parce que c’est un grand État. (…) Il est facile de coloniser de petites choses qui n’ont pas d’histoire, mais coloniser un État est très difficile. » Plus grave sans doute aux yeux des autorités algériennes a été la reprise du discours marocain sur la géographie prétendument tronquée du Royaume au profit de son rival maghrébin : « Lorsque la France colonisa l’Algérie, toute la partie occidentale de l’Algérie faisait partie du Maroc : Tlemcen, Oran et même jusqu’à Mascara. (…). Lorsque la France colonisa l’Algérie, elle s’établit comme protectorat au Maroc et décida, arbitrairement, de rattacher tout l’est du Maroc à l’Algérie, en traçant une frontière. »
Pour certains observateurs, l’écrivain avait, par ces mots, franchi une ligne « ligne rouge » aux yeux du régime, ce qui pourrait le rendre passible de poursuites pour « Atteinte à l’intégrité territoriale ».
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Devenu français depuis quelques mois, Boualem Sansal comptait « s’installer en France »selon Xavier Driencourt. « Il trouvait que l’Algérie devenait irrespirable. J’ai même commencé à chercher une maison pour lui”ajoute-t-il. L’ancien diplomate, devenu critique du régime algérien, voit dans l’arrestation de M. Sansal une manière, pour Alger, de « tester la France » avec qui les relations sont gelées depuis qu’Emmanuel Macron a reconnu « Souveraineté marocaine sur le Sahara occidental ». Un ami proche du président de la République, en voyage au Chili, assure Monde que le chef de l’Etat est informé de cette arrestation, ce qu’il dit « très inquiet ».