La Croix : Vous êtes candidat à la tête de l’ESS France, qui regroupe mutuelles, coopératives, associations, fondations et entreprises d’utilité sociale. Pour quoi ?
Benoît Hamon : Le moment que nous vivons démontre l’importance de détoxifier l’économie et les sociétés de la prédation que le capitalisme exerce sur les écosystèmes naturels et humains. Il s’agit d’une question brûlante en raison des effets du changement climatique et du désenchantement démocratique, qui se traduisent par la montée et le succès de projets politiques autoritaires et xénophobes. Ceci invite l’ESS, qui joue un rôle dans la société en développant la démocratie dans l’entreprise ou en visant l’utilité sociale, à ne pas se dépolitiser.
Les acteurs de l’économie sociale et solidaire (ESS) ne sont pas des militants politiques. Mais ils font le pari de considérer que multiplier les espaces de débat et de démocratie, y compris dans les affaires, crée à long terme des citoyens doués pour le dialogue et la responsabilité, et donc très éloignés de ceux qui pensent uniquement en termes autoritaires. , sélection naturelle, loi du plus fort.
En quoi l’ESS est-elle un moyen d’action ?
BH : L’ESS crée une sorte de baume pour une société dans laquelle nous souffrons des inégalités ou de l’impunité de quelques-uns. Lorsque ce type de ressentiment grandit, nous devons d’abord y être attentifs et y répondre avec des solutions qui permettent aux personnes au sein de l’entreprise et au-delà d’avoir le pouvoir d’agir.
Pour l’ESS, une personne équivaut à une voix. Que vous achetiez une ou dix mille actions d’une société ESS, vous disposerez du même pouvoir de décision collectif. C’est une relation entre pairs, où la responsabilité est partagée, où l’on regarde le potentiel derrière chaque membre, qu’il soit simple cadre ou manager expérimenté. L’ESS est donc évidemment un antidote, un anticorps aux thèses de l’extrême droite.
Ne craignez-vous pas également que votre passé politique puisse nuire au mouvement, dans le sens où un gouvernement pourrait avoir l’impression, en le soutenant, de donner des gages à un adversaire politique ?
BH : Mon nom est associé à une loi qui fait partie du patrimoine commun. Plus personne ne voudrait la combattre, sauf peut-être l’extrême droite, qui s’en est toujours prise à ceux qui incarnent la démocratie, l’égalité des droits et la justice sociale.
La loi Hamon a favorisé un élargissement de l’ESS, permettant de mettre en lumière une économie invisible. Quand l’ESS concentre 10 à 15 % de l’emploi sur certains territoires, il faut s’en occuper par les politiques publiques. Les mérites de cette loi devraient atténuer le réflexe politique auquel vous faites allusion.
Pour le reste, je suis toujours de gauche. Quand je parlerai au nom de l’ESS pour protester contre la suppression de 2 milliards de crédits à l’ESS, soit un cinquième du plan d’économies du gouvernement, qui affaiblirait les politiques de solidarité et les services aux personnes vulnérables, je ne serai pas dans l’opposition partisane, mais dans la défense. de l’intérêt général. Que l’on soit de droite ou de gauche, nous sommes condamnés à nous retrouver derrière un tel engagement.
D’ailleurs, Bruno Le Maire doit venir à notre conférence jeudi. Ce sera la première fois qu’un ministre de l’Économie et des Finances se déplacera. Il faut aussi miser sur le renseignement.
La loi Hamon était censée permettre à l’ESS de changer d’échelle. Comment expliquez-vous que son poids économique n’ait pratiquement pas changé ?
BH : Faute d’avoir été portée par une politique publique constante, l’ESS n’a effectivement pas changé d’échelle. L’objectif n’a pas été atteint. C’est une réalité. ESS France doit disposer d’un plaidoyer efficace pour construire des stratégies avec ses différentes parties prenantes et un rapport de force qui permettra d’obtenir des victoires.
La création d’un crédit d’impôt pour l’innovation sociale en serait une. Cela n’a aucun sens que l’innovation sociale, qui rend des services à la population et crée des emplois et de la valeur, ne soit pas soutenue alors que l’innovation technologique bénéficie abondamment d’investissements publics ou de crédits d’impôt.
Il faut aussi que les chambres régionales de l’ESS, qui ont des missions reconnues par la loi, soient soutenues financièrement par l’État. Je propose qu’une partie de la taxe parafiscale finançant les chambres consulaires leur soit allouée afin que nous puissions construire un réseau, une couverture territoriale et mener ainsi des politiques de développement des filières ESS.
Etes-vous, comme le gouvernement actuel, favorable à des « ponts » avec l’économie conventionnelle ?
BH : Même si le quart du chemin est fait, je préfère voir le verre au quart plein plutôt qu’aux trois quarts vide. Toute entreprise qui modifie ses procédés en termes de production, de recyclage, d’émissions de CO2 ou d’impact sur la biodiversité, qu’elle se qualifie ou non d’entreprise à mission, engage une démarche qu’il faut saluer.
Je suis favorable à ce que des alliances se nouent avec des entreprises qui souhaitent progresser là où l’ESS a des bonnes pratiques à partager et peut jouer un rôle de formation. J’adopterai une approche positive car le SES à lui seul ne changera pas l’ensemble de l’économie. Et nous avons besoin d’une transformation globale pour éviter la trajectoire désastreuse d’une température planétaire dépassant 2°C, voire 3°C.