Le Wisconsin, champion du « gerrymandering électoral » aux États-Unis
Vu d’en haut, le Wisconsin est pris en sandwich entre le lac Supérieur au nord et le lac Michigan à l’est. Géographiquement donc, mais aussi politiquement, le Wisconsin est entre deux eaux. Cet « État swing » percé de milliers de lacs pourrait basculer du côté des démocrates et des républicains lors de l’élection présidentielle américaine la semaine prochaine. Assez populaire touristiquement, le Wisconsin se déguste au guidon d’une Harley-Davidson, car c’est ici qu’est née la monture emblématique. En parcourant ses routes rectilignes, vous pourrez traverser ses champs vallonnés, contempler ses paysages enneigés au cœur de l’hiver ou saluer ses centaines de milliers de vaches.
Capitale du fromage (fromage américain, certes, mais ils semblent l’apprécier outre-Atlantique), le Wisconsin est un peu la laiterie des Etats-Unis. Mais tout le sel de cet État, à l’aube des élections nationales, réside dans ses contours politiques. Car le Wisconsin est avant tout la capitale du « gerrymandering », parfois appelé « gerrymandering électoral ».
Couper et conquérir
« Le gerrymandering fait référence à une circonscription électorale problématique car elle favorise un parti. Le terme vient du mélange entre le nom du gouverneur du Massachusetts, Elbridge Gerry, qui avait imaginé un découpage électoral favorisant son propre parti (en 1811), et la forme d’un des districts qui ressemblait à une salamandre », explique Jean -Eric Branaa, maître de conférences à l’Université Assas et chercheur au Centre Thucydides pour les Relations Internationales.
En tordant les circonscriptions, un camp peut donc obtenir la majorité des sièges à l’assemblée législative de l’État (le Sénat et l’Assemblée dans le cas du Wisconsin) alors qu’il aurait dû perdre avec une large marge. « Cette question constitue un véritable problème dans le Wisconsin. « C’est un État assez contesté au niveau national, mais au niveau local, les républicains ont dessiné des districts (en 2010), ce qui leur a donné un avantage écrasant au sein de l’assemblée législative de l’État », explique David CW Parker. , maître de conférences en sciences politiques à l’Université du Wisconsin-Madison.
« On voit qu’il y a eu des falsifications »
Le problème est tel dans l’État de Badger que Le gardien en février dernier, avait fustigé cette « réalité antidémocratique », à cause de laquelle « le Les élections législatives n’ont plus d’importance dans le Wisconsin depuis plus d’une décennie. « En 2018, les démocrates ont remporté 53 % des voix mais n’avaient que 36 des 99 sièges à l’Assemblée d’État. C’est très révélateur, on voit qu’il y a eu des falsifications», illustre Jean-Eric Branaa.
« Récemment, de nouvelles cartes avec des circonscriptions plus équitables ont été mises en place. Ils devraient augmenter le nombre de démocrates dans la législature de l’État, ce qui reflète mieux l’équilibre du Wisconsin », a déclaré David CW Parker. Ce changement s’est produit en février, notamment grâce à des associations luttant pour un redécoupage équitable, comme Common Cause, mais aussi d’âpres batailles judiciaires. Désormais, « les cartes montrent une répartition presque égale entre les circonscriptions à tendance démocrate et à tendance républicaine : 45 sont à tendance démocrate, 46 sont à tendance républicaine et huit peuvent basculer d’un côté ou de l’autre », expliquait alors Le New York Times.
« Chacun fait ses propres règles »
Cette division, qui sert à « conserver une majorité de manière artificielle », résume Jean-Eric Branaa, n’aura aucun impact sur les dix grands électeurs que le Wisconsin offrira à Kamala Harris ou à Donald Trump, puisque l’élection présidentielle se joue. le niveau de l’État. Cependant, le gerrymandering illustre une particularité des élections américaines : tout se joue au niveau fédéral. « En 2013, la Cour suprême a rendu un arrêt estimant que l’État fédéral n’a plus à mettre le nez dans la manière dont les États organisent les élections », regrette Cécile Coquet-Mokoko, professeur de civilisation américaine à l’université de Versailles-Saint Quentin. Elle estime que « c’est le feu vert pour des mesures qui restreignent le droit de vote ».
Chaque État choisissant les règles déterminant qui peut ou ne peut pas voter, l’élection présidentielle est particulièrement complexe. Ici, il est possible de voter sans identification ; là-bas, il est interdit de voter avant le jour du scrutin qui tombe… un mardi. Les règles de vote diffèrent d’un État à l’autre et sont parfois choisies en faveur du parti qui détient les rênes de l’État. « Certains interdiront de voter dans l’État si vous y résidez depuis moins de trois ans afin de limiter le vote des étudiants », illustre Cécile Coquet-Mokoko. « Les élections aux États-Unis sont décentralisées, donc décidées par les États, voire par les comtés et les villes. Il n’y a pas de contrôle fédéral donc chacun fait ses propres règles, avec les abus que cela entraîne », ajoute Jean-Eric Branaa.
Devenez président avec moins de voix
Un autre inconvénient de cette décentralisation est que les votes n’ont pas le même poids selon que l’on habite en Californie ou dans le Wyoming. « Chaque Etat compte au moins deux électeurs, puis d’autres en fonction de sa population », explique Jean-Eric Branaa. Les Américains votent donc pour des électeurs qui se tournent tous vers le candidat qui avait l’avantage dans leur État. Résultat : en 2016, Donald Trump est élu président avec près de 3 millions de voix de moins qu’Hillary Clinton.
« Cela semble totalement injuste et de nombreux Américains souhaiteraient se débarrasser du collège électoral. C’est dépassé et de peu d’utilité puisque les électeurs n’exercent même pas leur jugement indépendant», glisse David CW Parker. « On entend souvent que ce n’est pas démocratique mais c’est le peuple qui choisit », tempère néanmoins Jean-Eric Branaa. Nous votons dans chaque Etat comme dans l’Union européenne, où nous votons en France, en Italie, en Allemagne et non de manière unitaire. Autrement, un Etat comme le Luxembourg n’aurait absolument aucun poids. »
Le plus grand danger pour la démocratie américaine
Dans le Wisconsin comme dans le reste du pays, assure David CW Parker, les élections américaines ne sont pas « entachées d’irrégularités ». Pour ce spécialiste de la démocratie américaine, le plus grand danger auquel elle est confrontée est celui de « démagogues sans scrupules qui utilisent de fausses accusations de fraude électorale comme prétexte pour saper la confiance des électeurs ».
Les dernières informations sur l’élection présidentielle américaine de 2024
En 2020, Donald Trump avait crié à la fraude électorale après sa défaite face à Joe Biden, un séisme pour la démocratie américaine. Ces allégations, qui ont donné lieu à l’attaque du Capitole par les partisans du magnat de l’immobilier, n’ont jamais vraiment été démenties par le candidat à la présidentielle. En cas de nouvelle défaite, « je suis convaincu qu’il se livrera à nouveau à des manœuvres anticonstitutionnelles pour revendiquer une fraude électorale », glisse David CW Parker. Dans un pays de plus en plus polarisé et où « tout le monde est armé », rappelle Céline Coquet-Mokoko, « jouer avec le vocabulaire de la guerre civile est loin d’être anodin ».