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Le voyage des morts, de Yann Vagneux

Au mois de septembre, pendant la quinzaine lunaire appelée Pitru paksha, les hindous accomplissent des prières pour leurs défunts en remontant jusqu’à la troisième génération.

Ainsi, ils continuent le rituel du shraddha après la crémation. En effet, au moment où le fils aîné s’avance vers le bûcher pour frapper et ouvrir le crâne incandescent du mort, l’esprit de ce dernier – le prêt – quitte son corps. Commence alors un périlleux voyage d’une durée de dix jours, correspondant symboliquement à la gestation d’un être humain. A son terme, le défunt devient un ancêtre (fosse) et son esprit peut s’unir à un nouveau corps. Pour accompagner le mort, ses descendants lui donnent une forme temporaire – le pinda – à base de riz bouilli, de graines de sésame et de beurre clarifié. Ils honorent cette figure rituelle avec de l’encens, des fleurs et des lampes à huile.

Avec des pots remplis d’eau, ils étanchent l’esprit assoiffé du défunt, tandis que la matière même du pinda sert de nourriture. Si un corbeau vient dévorer la boule de riz, c’est considéré comme un signe de bon augure annonçant la fin du voyage vers le monde des ancêtres. A la fin des dix jours, un repas est offert aux prêtres brahmanes, puis à la famille et aux amis du défunt.

Rites pratiqués en Inde depuis plus de trois mille ans

Les rites du shraddha sont pratiqués en Inde depuis plus de trois mille ans sans changements majeurs. Ils sont décrits dans les Védas, qui s’adressent à Agni, le feu sacré engloutissant les morts dans ses flammes, comme suit : « Quand tu l’auras parfaitement cuit, toi qui connais toute la création, alors, à ce moment-là, envoie-le vers ses ancêtres. (…) Libère-le pour qu’il soit réuni à ses pères lorsqu’il aura été offert en oblation. Qu’il rejoigne aussi sa descendance en le couvrant d’une vie nouvelle, qu’il s’unisse de nouveau à un corps. »

Ailleurs, après avoir décrit son voyage au ciel et à la terre, aux vagues de l’océan et aux rayons du soleil levant, aux rivières et aux plantes, aux plus hautes montagnes et au passé et au futur, le Rig-Veda ordonne à l’esprit du défunt de « revenir vivre dans un nouveau corps. »

Dans l’hindouisme, le shraddha manifeste la nécessité de rites auxquels, dans la vie comme dans la mort, nul ne peut échapper. Les rites unissent les mondes des hommes, des ancêtres et des dieux et enjoignent les vivants à aider le voyage de leurs proches qui ont achevé leur existence terrestre. Leur importance capitale explique l’immense traumatisme qu’a connu l’Inde entre avril et juin 2021 lorsque des centaines de milliers de personnes sont mortes du Covid sans avoir reçu de rites funéraires appropriés. Cela a poussé, en octobre 2023, Swami Avimukteshwarananda, le Shankaracharya de Jyothishpeeth, à consacrer le temps de Pitru paksha aux victimes de la pandémie dont on craint qu’elles ne soient encore des esprits errants. Le dernier jour de la quinzaine lunaire, ce chef spirituel hindou a hardiment invité le prêtre catholique que je suis, ainsi qu’un imam musulman, à se joindre à lui pour que notre intercession soit véritablement universelle et permette au voyage des morts d’arriver à bon port.

(1) auteur de Une émulation de sainteté, DDB, 300 p., 20 €.

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Gérard Truchon

An experienced journalist in internal and global political affairs, she tackles political issues from all sides
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