La question peut paraître technique mais elle est primordiale. Le Vatican a publié, jeudi 13 juin, un document sur la primauté romaine, concept central qui désigne la prééminence du pape dans l’Église. Une idée très contestée depuis le IVe siècle, au centre de nombreuses batailles théologiques, dont la Réforme protestante. Mais lire les 150 pages d’un texte sobrement intitulé « L’évêque de Rome »et publiés à l’initiative du dicastère pour la promotion de l’unité des chrétiens, les combats séculaires semblent désormais plus lointains que jamais.
Car vingt-cinq ans après la publication deUt Unum sint (« Qu’ils soient un ») de Jean-Paul II, le Vatican veut relancer le dialogue entre toutes les traditions chrétiennes, qu’elles soient orthodoxes, protestantes ou anglicanes. Pour cela, Rome propose dans ce nouveau texte une analyse très exhaustive de près de 100 documents publiés sur un quart de siècle par des Églises non catholiques ou des groupes de dialogue œcuménique. Une forme de consensus se dessine autour de la nécessité d’une primauté romaine au niveau universel.
Le monde d’aujourd’hui exige que le christianisme ait une sorte de porte-parole
En d’autres termes, les dirigeants chrétiens du monde entier reconnaissent aujourd’hui la nécessité d’un rôle spécifique joué par le pape. Comment le justifient-ils ? En trois points. Le premier d’entre eux est historique : « La chrétienté a été établie sur des sièges apostoliques majeurs occupant un ordre spécifique, le siège de Rome étant le premier » peut-on lire dans le document, qui résume les réflexions des vingt-cinq dernières années.
La deuxième justification est ecclésiologique : « Un certain nombre de dialogues ont soutenu qu’il existe une interdépendance mutuelle de primauté et de synodalité à tous les niveaux de la vie de l’Église : local, régional, mais aussi universel. » Le troisième argument est plus pragmatique : certaines Églises, comme celles de tradition anglicane, reconnaissent que le monde d’aujourd’hui exige que le christianisme ait une sorte de porte-parole, « contexte contemporain de mondialisation » et à cause de « exigences missionnaires ».
Mais une fois ce constat fait, tout le monde est loin d’être d’accord sur le contenu de cette primauté de l’évêque de Rome. Hors de question, pour les autres Églises chrétiennes, que le Pape retrouve sur elles une forme de domination. L’un des principes les plus discutés au niveau œcuménique est donc l’héritage du Concile Vatican I, en 1870, au cours duquel l’Église catholique a proclamé comme dogme « la primauté du pape sur l’Église universelle »c’est-à-dire la création pour l’évêque de Rome d’un « primauté de juridiction sur toute l’Église de Dieu ». Une vision qui a clairement évolué moins d’un siècle plus tard, lorsque le Concile Vatican II a introduit le principe de collégialité, sur lequel Rome insiste particulièrement aujourd’hui.
« Une opportunité de réflexion commune sur la nature de l’Église »
« Le ministère de l’Évêque de Rome ne doit pas être considéré seulement comme un problème mais aussi comme une opportunité de réflexion commune sur la nature de l’Église et sa mission dans le monde » écrit aujourd’hui le Vatican, qui plaide pour que les théologiens se tournent à nouveau vers Vatican I. De même, les responsables du Dicastère pour l’unité des chrétiens invitent » clarifier « le dogme de l’infaillibilité papale, également proclamé en 1870, rappelant qu’il s’agit plutôt de l’interpréter comme « l’infaillibilité de l’Église » et pas seulement comme celui d’un homme, même s’il était pape.
Le rôle de primat ici esquissé, et qui correspond à un certain nombre de gestes posés par François depuis le début de son pontificat, est donc un «primauté de la charité». « Le rôle de Pierre pour fortifier les frères (Luc 22 : 32) est un leadership de serviteur basé sur la conscience de sa propre faiblesse et de son péché. » peut-on lire dans le document, qui continue : « Ce ministère est inextricablement lié au renoncement et au sacrifice de soi du Christ. »
Une fois ce document publié, reste à savoir comment évoluera ce constat enthousiaste, dressé par des théologiens romains. Car si le dicastère pour la promotion de l’unité des chrétiens a livré ici les fruits de deux années de travail, il ne compte pas s’arrêter là. Toutes les Églises chrétiennes sont désormais appelées à répondre à cette vision. Et de répondre, au fond, à cette question, posée implicitement : est-ce acceptable, ou est-ce encore trop catholique ? Une manière de poursuivre le dialogue et peut-être de parvenir un jour à un véritable accord théologique sur la place de l’évêque de Rome dans le christianisme.
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► « Nouvelles perspectives ecclésiologiques »
Extrait de « L’évêque de Rome, primauté et synodalité dans les dialogues œcuméniques » (§ 32)
« La réflexion théologique sur la primauté ne peut pas se concentrer uniquement sur les différences dogmatiques du passé, mais doit également s’intéresser à la vie actuelle de nos Églises – à leurs évolutions internes, à leurs défis et à leurs relations. Concernant la vie interne de l’Église catholique, la pratique renouvelée du Synode des évêques ou l’accent mis par le pape François sur le titre de « évêque de Rome »entre autres aspects de la réforme, sont importants d’un point de vue œcuménique. (…) À cet égard, le « dialogue de charité » et le « dialogue de vie » ne doit pas être compris uniquement comme une préparation à «dialogue de vérité », mais comme une théologie en action, capable d’ouvrir de nouvelles perspectives ecclésiologiques. »