La bataille juridique qui se joue actuellement a pour base l’appropriation de des noms. Prenons le terme « jambon ». Il désigne une technique de charcuterie, saumurée et coupée en tranches, mais la coutume l’associe intrinsèquement au porc. Des jambons de poulet et même de dinde sont également vendus sur le marché. Cela ne choque personne ? Cependant, deux secteurs sont en guerre : le porc et la volaille. Semblable à la guerre de Troie, la volaille a été « kidnappée » le terme « jambon » aux bouchers.
La linguistique, nerf de la guerre.
Avant l’arrêt 92-80.561 de la Cour de cassation d’Angers du 7 février 1994, laappellation le jambon était exclusivement réservé au porc. Après de nombreuses attaques judiciaires, l’industrie avicole a obtenu gain de cause. Aujourd’hui subsistent les interdictions suivantes : qualifier de « jambon » tout produit s’il ne s’agit pas de porc (il faut préciser l’animal comme étant du jambon de dinde par exemple) et étiqueter les produits susceptibles d’induire le consommateur en erreur. 30 ans plus tard, le même scénario se reproduit avec les légumes.
Il y a une dizaine d’années, les plantes sortaient de leur antre et faisaient une arrivée remarquée sur la scène culinaire, influençant profondément nos modes de consommation. Pour attirer de nouveaux consommateurs, les fabricants de produits « végétaux » ont établi une stratégie : donner confiance dans leurs produits uniques. Quoi de mieux pour rassurer un consommateur novice dans l’utilisation termes connu de nos palais. La filière végétale souhaitant développer des substituts aux produits carnés s’est donc inspirée de la commercialisation de la viande. Les premiers produits arrivèrent ainsi : escalope panée aux légumes, saucisse vegan… Et les problèmes commencèrent (encore).
Ça revient et ça s’en va.
En juin 2022, la France a publié un premier décret, suspendu en référé par le Conseil d’État. Ce dernier souhaitait des éclaircissements sur termes n’est plus utilisé par les filières végétales. Soutenu par le gouvernement et l’interprofession bovine, le deuxième décret a donc précisé le 21 mots à interdire pour le secteur végétal, décision publiée au Journal officiel le 27 février. Qui retrouve-t-on dans cette liste ? Jambon ! Certainement! Mais surprise, le Le Conseil d’État a suspendu le décret gouvernemental le 10 avril. Le juge des référés estime «qu’il existe un doute sérieux sur la légalité de cette interdiction » et qu’une telle décision « porterait un préjudice grave et immédiat aux intérêts des fabricants vendant exclusivement ce type de produits».
Pourquoi une telle décision ?
Rien n’est encore écrit – tant que la Cour de justice européenne ne se sera pas prononcée, mais il est fort probable que le recours à termes, traditionnellement associé à la viande, est approuvé pour les aliments d’origine végétale. D’une part, le «Les ventes de viande végétale ont continué de croître, augmentant de 17 % entre 2020 et 2022 pour atteindre 112,5 millions d’euros» précise le rapport de l’ONG indépendante Good Food Institute Europe en 2023 et s’opposent en revanche à l’ouverture de l’usage d’un champ lexical à différents secteurs, serait contraire à l’ambition de la planification écologique et, par extension, à celle de la souveraineté alimentaire.
Mais pourquoi l’industrie de la viande s’accroche-t-elle si étroitement à son steak ? Si le débat peut paraître ridicule à certains, il cache en réalité une vérité plus sombre. La viande française et notamment toute la filière artisanale souffre. Pour paraphraser Noam Chomsky (professeur américain émérite de linguistique) : les mots aident à co-construire l’identité. Utilisez le terme flanchet par le secteur opposé, c’est dénaturer la tradition boucherie. Mais que faire dans une société en constante évolution ? La langue évolue, même l’écriture change de forme. Ce qu’il faut faire ? Rester sur ces acquis qui seront sans doute perdus ou se forger une nouvelle identité en se concentrant sur les vrais enjeux de notre agriculture ?
La viande, c’est un savoir-faire unique, des techniques de découpe enviées partout dans le monde, une histoire, des éleveurs qui perpétuent les races. Le vrai travail ne devrait-il pas se concentrer exclusivement sur l’éducation des jeunes générations ? Soutenir l’artisanat et la qualité ? Ceci n’est pas un homonymie ce qui est totalement responsable de la crise vécue par nos éleveurs. Ce sont plutôt les pâles copies industrielles qui envahissent le marché, les éleveurs qui peinent à se rémunérer convenablement et l’inflation qui incite les Français à consommer toujours plus de produits bas de gamme. Manger mieux, manger moins, c’est meilleur pour l’environnement et la santé. Cela a un prix. Laissons les mots de côté et concentrons-nous sur les vrais défis à relever ensemble.
Défi : nm « obstacle qu’une civilisation, un groupe, une personne doit surmonter ».