Lancée par le groupe écologiste du Sénat, la commission d’enquête sur « respect par TotalEnergies des obligations climatiques et des orientations de la politique étrangère française » aurait pu être l’occasion d’une forte mise en accusation contre le groupe. Après une quarantaine d’auditions, le rapport, présenté mercredi 19 juin, a finalement été « consensuel »selon l’aveu de son rapporteur, le sénateur écologiste Yannick Jadot, évoquant un « un compromis qui fait honneur au Sénat ». Il a été adopté par 18 des 19 membres de la commission.
Inciter le groupe à avancer plus vite dans les énergies renouvelables
« Ce n’est pas en imposant des règles spécifiques à TotalEnergies qu’on va changer le monde des hydrocarbures », a expliqué Roger Karoutchi, président de la commission, et membre du groupe Les Républicains, rappelant que le groupe ne représente que 1,3% du marché pétrolier mondial.
Le rapport espère néanmoins que l’énergéticien avancera plus vite dans le développement des énergies renouvelables, qui ne représentent que 35% de ses investissements, même si son engagement dans ce domaine est deux fois supérieur à celui des grandes entreprises anglo-saxonnes. « Le groupe entend augmenter sa production pétrolière et gazière de 3% d’ici la fin de la décennie, ce qui entre en contradiction avec les objectifs de sortie des énergies fossiles de la France », estime Yannick Jadot.
Au final, le rapport présente 33 propositions, souvent à caractère général et qui s’adressent directement à l’État, comme « mieux structurer les filières industrielles des énergies renouvelables » Ou « impliquer davantage la finance dans la transition énergétique ». Seules quelques-unes concernent spécifiquement TotalEnergies.
L’Etat pourrait mener des « actions spécifiques »
Mais ce sont des mesures de choc. La commission d’enquête propose ainsi « la détention par l’État d’une part spécifique du capital de TotalEnergies », OMS « conférerait un droit de regard sur l’évolution actionnariale du groupe et une plus grande information, voire une plus grande influence, sur les décisions stratégiques de son conseil d’administration ».
Cette solution est jugée plus efficace et moins coûteuse (elle ne coûte que 62 euros, le prix d’une action au cours actuel), que celle proposée par la gauche de prendre 5% du capital : elle nécessiterait de mobiliser environ 7 milliards d’euros. euros d’argent public.
L’État détient aujourd’hui des participations spécifiques dans plusieurs entreprises, comme Thales, Engie, Safran Ceramics ou encore l’industriel d’aciers spéciaux Aubert & Duval.
Pouvoir exercer un droit de veto
La proposition de la commission sénatoriale est directement liée à l’hypothèse exprimée, fin avril, par Patrick Pouyanné, PDG de TotalEnergies, de déplacer la cotation principale du groupe de Paris à New York. Les actionnaires nord-américains détenaient 40 % du capital à fin 2023, contre 27 % pour les actionnaires français. « Sans interférer dans la gestion quotidienne de l’entreprise, cette action spécifique lui permettrait de disposer d’un droit de veto sur certaines décisions comme le déménagement du siège social », souligne Roger Karoutchi.
Reste à savoir quel impact cette mesure pourrait avoir sur la stratégie définie par le conseil d’administration, notamment sur ses choix d’investissement. Les actions spécifiques sont généralement peu appréciées des investisseurs, notamment anglo-saxons, alors que la société est déjà nettement moins valorisée en Bourse que ses concurrentes américaines.
Arrêter les importations de GNL russe
La deuxième mesure marquante proposée vise à arrêter les importations de gaz naturel liquéfié (GNL) russe en Europe, dont TotalEnergies est le principal opérateur en Europe. Le GNL issu des gisements sibériens représente environ 15 % du gaz consommé en Europe au 1er trimestre.
Cette part a même eu tendance à augmenter ces derniers mois (elle était de 13 % en 2023), dépassant les volumes en provenance des Etats-Unis, compte tenu des rabais de prix proposés par le russe Gazprom. Des pays comme la Hongrie, l’Autriche et la Slovaquie ont augmenté leurs achats.
La décision d’interdiction ne pourrait être prise qu’au niveau de l’Union européenne, dans le cadre d’un nouveau paquet de sanctions contre la Russie, qui nécessite de trouver un accord entre les États membres, alors que le dossier glisse. « La France doit se battre pour cela », souligne Yannick Jadot. Selon lui, la mesure ne mettrait pas en danger la sécurité d’approvisionnement mais pourrait avoir un effet sur les prix.
Pas de nouveaux projets en Azerbaïdjan
Le rapport appelle également TotalEnergies à arrêter tout nouveau projet en Azerbaïdjan, dans l’attente d’un règlement pacifique du conflit avec l’Arménie. Dans le pays, le groupe détient une participation de 35 % dans un champ gazier de la mer Caspienne, à une centaine de kilomètres de Bakou.
« Ne nous demandez pas de prêcher la morale à la place des autorités publiques. Si l’Union européenne et les Nations Unies décident de sanctions contre l’Azerbaïdjan, nous les appliquerons. » Patrick Pouyanné l’a déclaré lors de son audition devant la commission le 29 avril.
Il avait affiché une position identique concernant le GNL russe, expliquant qu’en l’état actuel des contrats, il était obligé de payer le gaz russe, qu’il le prenne ou non. A moins que l’UE ne décide d’arrêter les importations, permettant ainsi au groupe d’activer la soi-disant clause « force majeure ».