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Le Rwanda parvient à torpiller la nomination du représentant de l’Union européenne pour la région des Grands Lacs

Le président rwandais Paul Kagame avec le président du Conseil européen Charles Michel (à gauche) lors d'une commémoration du génocide des Tutsi à Kigali en avril 2024.

A Bruxelles, l’affaire est extrêmement embarrassante. Alors que le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, devait nommer mi-juin son premier représentant spécial pour la région des Grands Lacs, qui regroupe le Rwanda, le Burundi et la République démocratique du Congo (RDC), il vient de décider de prolonger la procédure de recrutement jusqu’au 5 juillet. Un courrier électronique a été envoyé aux États membres le 14 juin pour les en informer. Le sujet doit être abordé notamment lors du Conseil des ministres européens des Affaires étrangères qui se tient lundi 23 juin à Luxembourg.

Au printemps, deux candidats ont été interviewés : Pekka Haavisto, ancien ministre finlandais des Affaires étrangères, qui a fini par se retirer. Son principal défaut était de ne pas parler français, alors que la région était francophone. Restait le deuxième prétendant, le Belge Bernard Quintin, ancien directeur Afrique de la diplomatie européenne, soutenu à l’unanimité par les Etats membres. Et pourtant, il ne sera pas non plus le prochain envoyé spécial dans la région.

Paul Kagame, le président rwandais, n’a pas attendu de voir Emmanuel Macron jeudi 20 juin. Fin avril, lors d’un entretien téléphonique, il a fait part à son homologue français de son opposition à ce choix, selon les médias spécialisés. Afrique Intelligence. A la suite de cet échange, Paris, mais aussi d’autres pays comme la Suède ou le Danemark, ont alors fait savoir qu’avant toute nomination d’un envoyé spécial, il fallait s’assurer de son bon accueil dans les pays de la région.

« Si l’on veut qu’un tel représentant soit efficace, il faut qu’il puisse parler à tout le monde et être reçu par tous les acteurs régionaux. Si un pays s’y oppose, cet envoyé spécial européen sera affaibli », résume une source diplomatique. Si les ambassadeurs doivent présenter leurs lettres de créance à leur État hôte, la procédure est beaucoup plus floue s’agissant d’un envoyé spécial européen, qui parle au nom des Vingt-Sept. Théoriquement, un pays tiers n’a pas son mot à dire.

« Un très mauvais message »

La Belgique, historiquement proche de la République démocratique du Congo, où le Rwanda est engagé militairement aux côtés des rebelles du M23 qui déstabilisent l’est de la RDC, paie ses mauvaises relations avec Kigali. En 2023, le royaume a notamment refusé l’aval de Vincent Karega, choisi par Kigali pour être ambassadeur à Bruxelles.

Un diplomate belge n’aurait pas dû être présélectionné pour un tel poste, selon le Service européen pour l’action extérieure. Plusieurs États membres ont donc réclamé un profil plus neutre.

Il reste un sentiment d’humiliation pour l’Europe, d’être dictée dans la conduite à suivre par le Rwanda, déjà habitué aux ingérences comme le démontre l’enquête « Rwanda Classified » sur l’affaire Monde et Forbidden Stories en mai.

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« Le choix de M. Quintin par le jury de sélection a été unanime et n’était connu que de très peu de personnes, confie un diplomate proche du dossier. Comment M. Kagame l’a-t-il découvert ? Le Rwanda a alors le droit de faire pression pour éviter la nomination d’un envoyé spécial dans la région, mais il n’aurait jamais dû être informé aussi tôt de cette nomination. »

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« Cette procédure était une honte »» raille un autre diplomate européen à Bruxelles. « Permettre à un pays tiers de dicter notre comportement envoie un très mauvais message. Un tel processus de recrutement ne peut pas être répété. Ce n’est pas possible « ajoute une troisième source diplomatique, qui appelle à la nomination au plus vite d’un nouvel envoyé spécial.

« Avec le Rwanda, vous avez deux options : soit vous vous opposez et gagnez le respect, soit vous cédez et vous faites marcher sur les pieds.note un diplomate expérimenté. L’Europe a choisi la pire option. »

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Gérard Truchon

An experienced journalist in internal and global political affairs, she tackles political issues from all sides
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