Le RN s’assure une belle manne – Libération
Si les militants du Rassemblement national jubilent, le trésorier du parti doit certainement se frotter les mains. En récoltant environ 9,3 millions de voix au premier tour des législatives anticipées du 30 juin, le RN vient de s’assurer un financement public solide pour les prochaines années. Le parti d’extrême droite, qui a reçu 10 millions d’euros d’aides publiques en 2023, aurait pu obtenir environ 15 millions d’euros au premier tour, comme le prévoit la loi de 1988 sur la transparence de la vie politique. Car derrière la victoire politique, ces législatives ont un aspect financier crucial pour les partis.
Selon la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP), les partis politiques disposaient de 198 millions d’euros de ressources, dont 66 millions d’euros d’aides publiques directes en 2022. Un tiers de leur financement est versé directement par l’Etat, le reste provient des cotisations des membres, des dons ou des contributions des élus. En 2024, l’Etat avait versé 66,5 millions d’euros directement aux partis, comme le précisait un décret en février dernier, indiquant le montant et la répartition de ces aides publiques.
Une voix pour 1,61 euro
Ces 66,5 millions d’euros d’aides de l’État sont répartis entre les partis politiques en deux tranches, conformément au texte de 1988. La première moitié de l’enveloppe est répartie en fonction du nombre de voix obtenues par un parti au premier tour des législatives. Pour être éligibles, les partis doivent avoir recueilli au moins 1 % des suffrages exprimés dans au moins 50 circonscriptions lors des dernières législatives, défavorisant ainsi tous les petits partis politiques. La somme est ensuite répartie entre les partis proportionnellement au nombre de voix obtenues à ce premier tour. Cela signifie que chaque bulletin de vote pour un parti lui rapporte de l’argent. En 2024, le « prix » d’un vote était de 1,61 euro. C’est notamment grâce à cette première fraction de l’aide qu’après le scrutin de 2022, Reconquête s’est retrouvée créditée de 1,5 million d’euros sans avoir envoyé de député à l’Assemblée.
En gardant le même « prix » par voix, on peut estimer que le RN obtiendra environ 15 millions d’euros d’aides en 2025 grâce à son score de dimanche, alors que le parti d’extrême droite n’en a reçu que 6,8 millions en 2024. Un véritable pactole pour le parti d’extrême droite dont la gestion des financements publics a déjà amené ses cadres devant le juge.
Le parti majoritaire Ensemble, ayant recueilli près de 6,5 millions de voix, obtiendrait environ 10,5 millions d’euros de financement en 2025, contre 8,8 millions d’euros en 2024. Si la majorité connaît effectivement un échec politique, son échec financier doit donc être relativisé.
Un élu pour 37 000 euros
La seconde moitié de l’aide publique est attribuée à chaque parti ayant bénéficié de la première fraction de l’aide en fonction du nombre de parlementaires élus rattachés au bureau dudit parti. En 2024, un élu peut rapporter 37.119 euros à son parti. C’est notamment cette aide qui pourrait cruellement manquer au camp macroniste cette année et permettre au RN d’être le parti recevant le plus de finances publiques et de dépasser Ensemble, en cas de vague brune.
A noter qu’une partie de la dotation peut aussi être retirée en cas de non-respect de la parité. C’est ainsi que Les Républicains ont vu leur aide amputée de près de 1,3 million d’euros lors de la précédente législature. Le parti de droite avait présenté 157 femmes contre 256 hommes. Avec 264 candidats contre 284 candidats, Ensemble pour la majeure présidentielle s’est vu retirer plus de 510 000 euros. Les écologistes (à l’époque EELV) ont aussi été pénalisés par cette « modulation paritaire » pour la raison inverse : le parti avait présenté trop de femmes (54) par rapport aux hommes (51). Résultat, moins 78 000 euros sur leur dotation.
Aide essentielle pour les fêtes
Même si elle ne représente qu’environ un tiers des ressources des partis, cette aide est indispensable pour maintenir à flot certains partis. Quand le manque d’élus et de voix se fait sentir, les problèmes financiers ne sont pas loin. En 2017, le Parti socialiste a perdu 200 députés. Résultat, le parti a été contraint de vendre son siège historique de la rue de Solférino et s’est séparé d’une soixantaine de salariés après un plan social.
Récolter 1% des suffrages exprimés dans 50 circonscriptions est particulièrement essentiel pour les petits partis, comme Lutte Ouvrière. Le score du parti trotskiste en 2022 lui a permis de sécuriser environ 370 000 euros d’aides publiques par an. Pour continuer à percevoir ces aides, LO a donc présenté des candidats dans chaque circonscription le 30 juin. « Ce n’est pas ce qui fait vivre la fête » nuance Cédric Fisher, candidat LO en Haute-Saône, auprès de France 3 Bourgogne-Franche-Comté. Si le mouvement vit essentiellement grâce aux dons de ses membres, l’aide publique reste indispensable. L’organisation anticipée des législatives a « pris de court » militants, concède Cédric Fisher. Pourtant, les résultats du Parti communiste trotskiste de dimanche sont rassurants : les candidats ont réussi à obtenir plus de 1% des voix dans plus de 50 circonscriptions et pourront renouveler leur aide publique annuelle (qui pourrait avoisiner les 400 000 euros par an).
Douche froide en revanche pour le parti d’Eric Zemmour, Reconquête. Loin des 4,24% de 2022, le parti d’extrême droite s’effondre en récoltant 0,75% des suffrages exprimés. Bien que les candidats soient parvenus à rassembler plus de 1% dans 50 circonscriptions, la première fraction de l’aide annuelle qui sera accordée au parti zemmouriste d’extrême droite devrait se limiter à environ 330 000 euros auxquels il faut ajouter les 37 119 euros rapportés par le sénateur Stéphane Ravier à son parti – bien loin du million et demi qui leur avait été accordé suite aux résultats de 2022.
Un assèchement qui pourrait mettre à mal les finances et l’avenir du parti. C’est ce que souligne Romain Rambaud, professeur de droit public et expert en droit électoral au Monde : « Les partis émergents semblent être ceux qui dépendent le plus du soutien public direct. S’ils ne trouvent pas de débouchés électoraux à long terme, les dons des particuliers pourraient diminuer ou se tarir.Les prochains clips des campagnes d’intelligence artificielle de Reconquête devraient avoir un bel avenir devant eux.