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Le RN peut-il vraiment baisser la TVA à 5,5% sur les prix des carburants et de l’énergie ?

Le Rassemblement national peut-il vraiment baisser la TVA de 20 % à 5,5 % sur les prix des carburants et de l’énergie, comme le prétend Jordan Bardella ? Lors de sa conférence de presse lundi dernier, le président du RN a déclaré que la proposition de son parti, la promesse de Marine Le Pen en 2022, était « parfaitement possible dans le cadre européen actuel « .

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 » Il n’est pas nécessaire de réformer les directives européennes pour réduire la TVA. Je vous rappelle qu’il y a quelques mois, la Pologne (…) a abaissé la TVA sur ses carburants à un taux de 8,5%, cela n’a posé aucune difficulté à la bureaucratie européenne « , a déclaré le président du RN.

 » Pour le reste, il est parfaitement possible de baisser la TVA sur l’énergie. Un certain nombre de pays l’ont fait, et je pense que l’Allemagne l’a fait pendant la crise inflationniste. (…), donc il y a de la jurisprudence sur le sujet « , il ajouta.

Que disent les règles européennes ?

Pour rappel, l’UE interdit de baisser la TVA sur les carburants au taux réduit – soit 5,5 % en France – pour rester conforme au Green Deal et à l’objectif de décarbonation. Selon l’article 98 de la directive européenne de 2006 relative au système commun de TVA, « les taux réduits s’appliquent uniquement aux livraisons de biens et de services des catégories énumérées à l’annexe III « . Dans le détail, on retrouve des denrées alimentaires, de la distribution d’eau, des produits pharmaceutiques… mais pas de carburants.

Le gaz, l’électricité et le fioul, considérés comme des biens essentiels, ne sont pas concernés par cette interdiction. Toutefois, les pays doivent consulter au préalable un comité composé de représentants des États membres et de la Commission, chargé de promouvoir l’application uniforme des dispositions de la directive TVA.

 » Aaprès consultation du comité TVAchaque État membre peut appliquer un taux réduit aux fournitures de gaz naturel, d’électricité ou de chauffage urbain », conformément à l’article 102 de la directive TVA.

D’un point de vue droit communautaire, le RN pourrait donc mettre en place le taux minimum de TVA sur le gaz, l’électricité et le fioul, après avoir obtenu le vote du Parlement français.

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Une réduction temporaire de la TVA sur les carburants

Concernant les carburants, en février 2022, la Pologne avait, comme le dit Jordan Bardella, réduit la TVA sur les carburants de 23 % à 8 %. En août 2022, le gouvernement allemand a de son côté décidé de baisser temporairement la TVA sur le gaz, de 19 % à 7 %. L’objectif affiché est d’aider les consommateurs à faire face à la flambée des prix déclenchée par la guerre en Ukraine.

Mais selon Nicolas Goldberg, expert en énergie chez Colombus Consulting, ces mesures ne sont autorisées que « temporairement « . Le spécialiste rappelle que «  Ça n’a duré que six mois, pas plus » dans le cas de la réduction de la TVA sur les carburants en Pologne. La mesure n’a été appliquée que du 1er janvier au 31 juillet 2022. En Allemagne, la réduction de la TVA sur le gaz a été appliquée du 1er octobre 2022 au 31 mars 2024.

Vendredi dernier, le député sortant RN et candidat aux législatives dans la Somme, Jean-Philippe Tanguy, s’est lui-même montré prudent. Il a affirmé sur RTL que le RN entendait obtenir un « exemption temporaire » de la Commission pour pouvoir réduire la TVA sur les carburants à 5,5% « de cet été « .  » Je vais être honnête avec vous, là où la négociation est la plus difficile, c’est sur le carburant. », a-t-il admis, évoquant la nécessité de mettre en place un « équilibre des pouvoirs » pour obtenir une dispense du 27.

 » Exceptionnel et justifié »

Surtout, la mesure doit être « exceptionnel et justifié », selon Nicolas Goldberg.  » Dans le cas de l’Allemagne, il s’agissait de compenser l’effet des contrats à long terme dont elle était prisonnière avec la Russie. », se souvient-il. Et pour la Pologne – comme pour l’Allemagne –, « cela s’est produit dans un contexte de crise, alors qu’aujourd’hui les prix du pétrole sont au plus bas depuis 2021 », ajoute le spécialiste.

Phuc-Vinh Nguyen, chercheur sur les politiques énergétiques européennes et françaises au Centre de l’énergie de l’Institut Jacques Delors, précise également que « LLa Pologne avait unilatéralement réduit la TVA sur le carburant, puis la Commission l’a examiné et a demandé d’y mettre un terme. « .

 » Il ne s’agissait donc pas d’une dérogation autorisée en tant que telle, mais elle n’était pas sanctionnée rétroactivement du fait que c’était le pic de la crise. », rappelle spécialiste de la politique énergétique européenne. Contactée, la Commission européenne n’a pas répondu aux demandes de La galerie.

Pouvoir d’achat : pourquoi baisser la TVA serait inefficace pour aider les ménages

 » Je ne vois pas pourquoi la France prendrait une telle mesure », estime Nicolas Goldberg.  » En l’absence de justification, celle-ci pourra être refusée. Il peut également y avoir une exigence de correspondance, donc ce n’est pas si simple « , précise-t-il. En cas de passage forcé, la France  » serait en violation » et serait exposé à « Les sanctions « , selon lui.

Dernier recours du Rassemblement national pour baisser la TVA sur les carburants : réformer la directive de 2006 relative au régime commun de TVA. «  Mais il faudrait l’unanimité » des Etats membres, souligne Phuc-Vinh Nguyen.  » Autant dire que c’est peu probable, voire impossible. « , estime le chercheur de l’Institut Jacques Delors, qui reconnaît que l’UE offre plus  » latitude » réduire la TVA sur les autres énergies au niveau national.

Une efficacité contestée

Au-delà de la possibilité de mettre en œuvre une telle mesure, Nicolas Goldberg doute de son efficacité.  » Ce n’est pas parce que la TVA baisse que les prix des carburants baissent forcément dans les mêmes proportions à la pompe. Le distributeur n’est pas obligé de répercuter la totalité de la réduction « , il explique. A ce propos, il rappelle qu’en 2009, la baisse de la TVA à 5,5% dans la restauration a davantage profité aux restaurateurs qu’aux consommateurs.

Un autre risque ?  » Si la France l’applique seule dans son coin, la baisse de la TVA sur les carburants pourrait être dangereuse et créer artificiellement des pénuries. « , prévient Nicolas Goldberg. Pendant la crise, la baisse des taxes à la pompe a aggravé la crise des carburants qui a suivi. « .

En résumé, la proposition du RN de réduire la TVA à 5,5% sur le gaz, l’électricité et le fioul est envisageable après consultation d’un comité TVA européen préalable. Sur les carburants, en revanche, la réduction de la TVA est interdite par la réglementation européenne, sauf exonération à titre temporaire et exceptionnel.

Une mesure à 17 milliards d’euros selon Bercy

Selon le ministère de l’Economie, la baisse de la TVA à 5,5% sur l’énergie coûterait près de 17 milliards d’euros aux finances publiques. Dans le détail, la baisse de la TVA représenterait un manque à gagner de 10 milliards d’euros pour « de l’essence », 4,5 milliards d’euros pour l’électricité et 2,3 milliards d’euros pour le gaz, précise Bercy.

Interrogé vendredi dernier sur le financement de cette mesure, Jean-Philippe Tanguy l’a évalué ainsi : entre 12 et 16 milliards d’euros sur une année pleine « . Pour les six derniers mois de 2024, l’argent récupéré grâce à la suppression de l’échappatoire fiscale pour les armateurs,  » c’est entre 5 et 6 milliards » des revenus, a-t-il dit, sans donner plus de détails. Pour le reste, le RN compte » demandez une petite remise de 2 milliards » de la contribution de la France au budget de l’Union européenne.